A voleur voleur et demi [Terminé !]

C'était un comble. Se faire dérober son sac par un individu, un pseudo voleur à l'arraché... Blair était remontée car elle n'avait pu rattraper ce scélérat, mais surtout son égo de voleuse en avait pris un coup. Comme quoi, cela n'arrive pas forcément qu'aux autres. Elle se dirigeait d'un pas déterminé vers le poste de police pour porter plainte. Elle espérait bien que les forces de l'ordre l'aide à retrouver son voleur et surtout ses biens. Car perdre ses papiers par les temps qui courent n'était guère pratique et rien que d'imaginer toutes les démarches administratives qui allait en découler... Blair lâcha un soupir. Au moins, elle avait fait opposition sur ses comptes, son voleur ne pourrait lui piquer son argent en plus de ses affaires. Encore heureux qu'elle avait rangé son téléphone dans sa poche et non dans son sac.

Une fois arrivée à destination, Blair ne put s'empêcher d'observer le bâtiment, habitude de voleuse, repérant les systèmes de sécurité et autres particularités. Sauf qu'elle n'avait pas l'intention de cambrioler le siège des Peacekeepers. Quoi de plus risqué pour une voleuse dont la couverture tenait encore la route. Blair pénétra dans le hall et s'adressa aux personnes de l'accueil.

- Bonjour, je veux déposer plainte pour un vol à l'arraché.

Vu son état, Blair espérait qu'elle ne tomberait pas sur un incompétent. Le cas échéant, elle pourra officiellement décréter que c'était la pire journée depuis... Depuis la dernière. Tandis qu'elle attendait d'être reçue pour son dépôt, ses doigts pianotaient trahissant l'exaspération qui l'habitait suite à ce vol, autant ne pas la chercher. Puis, elle esquissa un sourire en envisageant une rencontre avec Josh. Cela égaillerait un peu sa journée. Mais bon, il y avait d'autres agents que lui dans ce commissariat.

Aria s’était discrètement planquée derrière la machine à café et contemplait son gobelet d’un air maussade. Mauvais. Depuis son enrôlement chez les Peacekeeper, la princesse s’était découvert une véritable passion pour le café, et elle avait déjà écumé quantité de machines de toutes tailles, marques et origines. Ce haut savoir lui permettait d’être formelle : la machine de l’accueil de la station police explosait le record du plus mauvais café de San Francisco. Inacceptable.
- BLAKE ! Où es-tu encore passée ?
Aria grimaça : diantre, même aller se chercher cette immonde mixture semblait jouissif à côté de…
- Il y a du monde pour toi ! Mais qui m’a collé une fille pareille ? BLAKE !
Comment une fille pareille ? Avait-elle vraiment le profil d’une secrétaire ? Etait-il seulement légal d’oser laisser s’ennuyer quelqu’un de sa trempe derrière un bureau ? Aria poussa un long soupir, redressa les épaules et sortit de sa cachette. Elle se composa la mine classe, presque hautaine, de celle qui se sait impeccablement irréprochable et entra en scène :
- Je suis là, pas la peine d’hurler mon nom comme sur un marché, poissonnière ! fit-elle avec emphase.
Elle doubla sa vieille collègue du jour, le menton haut, et repartit vers son calvaire : la traqueuse avait eu le grand malheur de sympathiser avec un employé attaché à la station, et ce goujat avait eu le culot de lui demander, à elle, de le remplacer aujourd’hui. C’était son jour de congé, elle avait accepté sans trop réfléchir… Erreur. Elle se retrouvait au poste le plus ennuyeux qu’elle ait jamais occupé. Se glissant avec nonchalance derrière son guichet, Aria lança un œil sur sa nouvelle cliente : une jeune femme, manifestement, qui regardait le passage dans la station et lui tournait le dos. La princesse se composa une contenance aussi professionnelle qu’elle le put.
- C’est pour déposer plainte ?
Question tout à fait rhétorique, puisque tel était son nouveau job, dans le but d’attirer l’attention de la demoiselle. Elle ouvrit la page adéquate sur son ordinateur :
- Eh bien, plaigniez-vous…
C’était reparti…

La personne qui vint s'occuper de Blair ne semblait pas franchement bien disposée vu les remarques et le ton employé. Cela dénotait avec son apparence professionnelle. Peut-être que son interlocutrice préférait le terrain au travail de bureau. Mais bon, il fallait de tout pour faire tourner la boutique. Blair prit appui sur le comptoir et se pencha vers la préposée pour entamer son dépôt de plainte, faisant fi de l'humeur de son interlocutrice.

- Je m'appelle Blair Davis et je me suis fait voler mon sac à main alors que je me trouvais sur Madison Street. Je me rendais chez Ming, un restaurant chinois. un homme m'a bousculé et en a profité pou m'arracher mon sac avant de détaler. J'ai essayé de le rattraper mais sans succès.

Cela faisait rager la voleuse. Elle se remémora le vol pour donner le plus d'informations possibles à la police, bien que devoir traiter avec eux pouvait mettre à mal sa couverture. Quoique la gentille décoratrice ne devait susciter aucun soupçon. La déposante poursuivit avec la description du voleur, du moins le peu qu'elle pouvait donner.

- Cet homme portait un sweat-shirt sombre, je dirai bleu foncé et il avait rabattu la capuche sur son visage donc je ne peux pas vous dire grand chose quant à son physique. Seulement qu'il est blanc, de taille moiyenne.

Plus Blair parlait, plus elle se rendait compte que son voleur ne serait pas trouvé aisément pusqu'il entrait dans la catégorie "monsieur tout le monde".

- En tout cas, j'ai fait immédiatement opposition sur mes comptes.

Premier réflexe. Bien que le fruit de ses vols n'apparaissait pas clairement sur ses comptes, elle ne souhaitait pas subvenir aux besoins de son dérobeur de sac. Ce serait la goutte de trop. Déjà que la fermeture de la ville n'arrangeait pas ses affaires...

Aria avait déjà croisé cette Blair Davis, dans son quartier, mais sans vraiment lui adresser la parole. Son nom lui semblait pourtant familier… Alors qu’elle tapait mécaniquement ce que lui racontait la volée, elle chercha lequel de ses souvenirs était responsable de ce déjà-vu… Ah oui ! Bien sûr ! Lorsqu’elle avait emménagé ! Une amie lui avait recommandé une Blair Davis pour arranger son appartement ! Elle n’en avait pas eu besoin pourtant, puisque Mélinda Blake avait trouvé follement amusant de décorer elle-même le nid de sa fille.

Donc… un sweat-shirt bleu foncé… wouah, voilà qui allait permettre de retrouver l’horrible gredin, surtout s’il n’avait qu’une seule tenue dans sa garde-robe… Etait-elle vraiment obligée de prendre toutes ces plaintes ? Evidemment, se faire voler, c’était rageant, et peut-être cela consolait-il les gens de venir raconter leurs mésaventures mais… Sérieusement ? Pensaient-ils qu’on avait une chance de retrouver qui que ce soit avec leurs descriptions fantomatiques ?
Aria acquiesçait avec un air aimable, peut-être légèrement surfait. Blair Davis termina sa plainte en assurant qu’elle avait fait opposition sur ces comptes.
- Bien ! fit Aria, très bon réflexe !
Elle se tourna vers sa plaignante.
- Si nous avons une quelconque information pertinente sur un homme caucasien sévissant en sweat-shirt bleu foncé, et que nous parvenons à trouver son trésor de sacs à main, nous vous contacterons ! Si un détail vous reviens, n’hésitez pas à revenir le signaler. Puis-je prendre vos coordonnées ?
Toujours avec son air aimable et intéressé peu convaincant, Aria, doigts suspendus au-dessus du clavier, attendait qu’on lui réponde.
Elle faisait de son mieux pour que son cynisme ne submerge pas la conversation mais la traqueuse avait un trop plein d’énergie à extérioriser, coincée derrière son bureau. D’autant plus qu’on lui avait dit le plus grand bien de cette Blair Davis, elle ne méritait certainement pas de contenter l’humeur grinçante de la princesse… Elle avait comme l’impression, néanmoins, que ces efforts ne suffisait pas à la rendre sympathique… Au moins ne servait-elle pas aux plaignants l’air blasé et le ton monocorde de son collègue du bureau voisin…

Oups...:

Blair sentait que son interlocutrice n'était guère convaincue des chances de réussites. Elle savait que sa description était vague et correspondait à la moitié des habitants de San Francisco. En même temps c'était le travail des forces de l'ordre de s'occuper de ce genre de délit. Faire justice soit même était rarement le bon moyen. Au moins, la décoratrice d'intérieur réussit à arracher une parole pouvant se rapprocher d'un compliment approbateur. Elle fournit son adresse, son numéro de téléphone, tous les éléments qui permettraient de la contacter s'ils avaient un quelconque résultat.

- Si vous parvenez à mettre la main dessus, voici la liste des objets que j'avais dans mon sac.

Blair sortit un papier sur lequel elle avait indiqué le contenu de son sac à main, les diverses pièces d'identité, les cartes, les babioles, le montant du liquide qu'elle prenait avec elle... Heureusement, elle payait généralement par carte, ne prenant de l'argent liquide qui pour palier les dépenses qu'elle pourrait avoir à faire comme un ticket de bus ou un pain.

- Je suis joignable à tout moment de la journée.

La voleuse se demandait si elle ne parviendrai pas à des meilleurs résultats que la police en se rendant au marché noir et en enquêtant par elle-même. User de sa réputation dans le monde des hors-la-loi pouvait être un bon moyen, mais cela pouvait également se retourner contre elle si on usait des informations de sa véritable identité. Elle aviserait en temps et en heure.

- Avez-vous besoin de renseignements complémentaires ?

Plus tôt elle quitterait les lieux, plus vite son interlocutrice pourra trouver une activité plus à son goût. Mais la déposante ne voulait pas partir sans s'assurer qu'elle avait bien transmis ce qu'il fallait.

Ah, si cela n’était pas une belle journée qui s’annonçait !
Joshua s’étira copieusement, ignorant avec superbe l’œillade réprobatrice de Sean. La Station était en pleine effervescence ; l’hiver touchant à sa fin, les patrouilles allaient de bon train. C’était plutôt bienvenu après une longue période morose d’inactivité, si ce n’étaient les rues jonchées de cadavres surgelés.

Il plongea le nez dans son café et manqua de le recracher aussitôt, son sourire satisfait s’effaçant pour laisser place à une mine horrifiée ! Il était dégueulasse ! Quelqu’un avait mis du sel dans la machine ? Bon, la journée ne s’annonçait peut-être pas aussi bien qu’au premier abord. Il soupira, enfila son manteau, attrapa son écharpe à la volée et quitta les lieux aussitôt pour partir en quête d’un café digne de ce nom.

Quelques rues plus loin, un sourire aguicheur pour la barista plus tard, il se trouvait sur le chemin du retour non pas avec un, mais deux cafés. C’était que voyez-vous, si la Princesse était de très mauvais poil, l’immondice que la machine servait ne ferait qu’aggraver la situation. Et une Princesse en pétard, c’était absolument pas distrayant – ou en tout cas, pas dans le bon sens du terme.

Tiens, d’ailleurs, il venait de l’apercevoir… Elle avait l’air occupée et diablement ennuyée. Pour qu’elle affiche une tête pareille, ça ne devait pas être passionnant – donc pas une affaire très importante. Se détachant de son professionnalisme habituel – il s’en fichait, il travaillait pas, là, il faisait une pause – il attrapa une gomme sur le bureau d’une collègue – auquel il offrit un clin d’œil complice et charmeur – visa – bien sûr il ne manquerait pas ! – lança – oh, quelle trajectoire les amis ! – et la gomme alla élégamment rebondir sur le front d’Aria Blake. Un lancé parfait.

« Bonjour ! » s’annonça-t-il avec un grand sourire.

Et pour effacer toute contrariété qu’une pauvre gomme aurait pu causer, il tendit à Aria le café qu’il lui avait payé. Alors, seulement, il réalisa qu’une plainte était en train d’être déposée, il releva le nez sur la malheureuse et…

« Blair ! Quelle surprise ! »

L'intrusion de la gomme dans son dépôt de plainte perturba Blair qui se ressaisit tout de même rapidement, Intérieurement, elle se retenait de rire, néanmoins elle décida d'afficher un air contrarié car cette plaisanterie portait atteinte au sérieux que représentait les Peacekeeper. Et quand le fauteur de trouble se présentait, Blair reconnut sa voix. Si elle s'y attendait...

- Josh ! Surprise partagée, même si elle est atténuée par le fait que je me trouve sur ton lieu de travail, ce qui augmente les probabilités de rencontre.

Petit sourire charmeur, vite réprimé par la raison de sa présence en ces lieux.

- Disons que j'aurai préféré venir pour autre chose qu'un dépôt de plainte.

Blair se remémora les circonstances de leur dernière rencontre, circonstances qu'elle espérait loin de l'esprit de Josh, elle ne voulait pas réveiller la suspicion du Peacekeeper.

- En tout cas, je vois que vous savez vous détendre chez les Peacekeeper. Joli lancé bien que je doute que ta collègue ait apprécié.

La jeune femme adressa un regard compatissant pour celle qui prenait sa plainte. Déjà que ce travail ne la mettait pas en joie alors un collègue perturbateur ne devait pas améliorer son humeur. Quoique, Blair ne pouvait juger, peut-être qu'ils se connaissaient depuis longtemps voire ils pouvaient être intimes... Blair ramena ses pensées sur l'instant présent, la vie de Josh ne la concernait pas vraiment même si elle appréciait grandement le jeune homme. D'ailleurs la collègue de Josh ne lui avait pas encore répondu, à savoir s'il manquait des informations dans son dépôt.

Aria réprimait un soupir las, difficilement mais il fallait rester professionnelle. Pro-fes-sion-nelle. Elle allait répondre à sa cliente, quand quelque chose rebondit sur son front.

"Une princesse offensée"
Acte I, scène I.
Figer son visage dans une expression choquée. Fermer les yeux pour retenir sa Juste colère. Utiliser cet instant de répit pour faire défiler les coupables potentiels dans son esprit. Josh. Il était le seul, avec Sean, à oser ce genre d’enfantillage avec Son Altesse. Et elle était en froid avec Sean, depuis qu’elle savait officiellement pour Eryn.

Scène II. Détendre son visage. Afficher un sourire « comme je suis belle et classe, je ne vais ni hurler, ni déformer mon divin visage. Mais tu rendras à ma fureur ce que tu lui dois, pièce par pièce, vermisseau. » Se lever doucement pour ne pas regarder sa future victime par en dessous.

Scène III. Commencer la mise à mort.
- Joshua Stone, espèce de gosse mal embouché et incapable de créativité ! Vraiment ? Pour moi ? Une blague de bas étage que n’importe quel ado pré pubère pourrait faire en ricanant comme un morse asthmatique planqué derrière ses boutons répugnants ? Je travaille, cancrel… ! oh mon dieu ! tu es mon chevalier en armure, fondit-elle soudain.
Le Galaad des temps modernes lui abandonnait vertueusement le Saint Graal. Aria jaugea l’offrande, pour faire bonne mesure, et se saisit du gobelet avec geste théâtral plein de grâce.
- Ce n’est que partie remise.
Elle esquissait un beau sourire, néanmoins.
En plus d’avoir appris à regarder le sieur Stone comme un agent certes original mais efficace ; récemment, alors qu’elle était sur les rotules de son moral à force de ramasser des cadavres dans les rues, elle avait été mystérieusement mutée sur des missions plus sympathiques… Son intuition lui soufflait que Joshua n’y était pas pour rien. Elle trouvait cela extrêmement touchant, même si l’apprendre officiellement vaudrait au Peacekeeper un mémorable savon. Orgueil oblige.

Elle savoura son Nectar alors que ses deux compères échangeaient quelques mots. Où avaient-ils bien pu se rencontrer ? Etait-ce là une des jolies conquêtes de son charmant collègue ? Aria esquissa un sourire en coin dans son gobelet, qu’elle réprima lorsque Blair tourna un regard compatissant vers elle. Professionnelle. Elle y croyait encore, oui.
- J’apprécie la formidable excuse qu’il me donne d’expérimenter de nouvelles fourbes vengeances… répartit-elle d’un ton élégamment grinçant.
Oui, Aria Blake avait l’incroyable pouvoir de tout rendre élégant, même les grincements. Et comme le regard de Blair ne se détournait pas, elle se rappela soudain : professionnelle.
- Je crois que j’ai tout ce dont j’ai besoin, mademoiselle Davis, fit-elle avec un sourire plus sincère que les précédents.

On peut dire que la Peacekeeper avait un comportement surprenant, passant de la colère maîtrisée à la joie à la vue du café apporté par Josh. Ce dernier savait quoi faire pour amadouer sa collègue. Néanmoins, cela ne lui épargnera pas une revanche ultérieure.

- Vous savez en tirer profit apparemment, déclara-t-elle suite à la réponse de la préposée. Si cela lui fournit une bonne excuse pour taquiner Josh autant qu'elle en profite non ?

Blair hocha la tête quand on lui signifia qu'elle pouvait prendre congé.

- Merci mademoiselle, répondit-elle avec un sourire soulagé. Fin des démarches administratives et du supplice de son interlocutrice, bien que son dernier sourire semblait plus naturel qu'auparavant.

Maintenant, quelle sera la suite ? Blair n'avait plus rien à faire chez les Peacekeeper, mais peut-être pouvait-elle discuter un peu avec Josh. Sauf qu'elle ne voulait s'incruster, les deux membres des forces de l'ordre avaient des comptes à régler suite à l'agression de Josh. D'une certaine manière, la sortie de Blair dépendrait du jeune homme.

- Bon, maintenant que j'ai fini, je ne vais pas accaparer votre temps plus longtemps. Alors qu'elle était sur le point de sortir, Blair se pencha vers Josh avec un sourire espiègle. Je crois que ton lancé de gomme ne restera pas impuni longtemps.

Blair ne souhaitait pas s'éterniser, elle préférait passer du temps avec Josh dans d'autres lieux et d'autres circonstances. Ici, trop d'éléments risquaient de réveiller les questions du Peacekeeper.

Joshua offrit un sourire éclatant à Blair, tant pour lui témoigner son plaisir de la voir qu’illustrer sa satisfaction face au lancé de gomme. D’ailleurs, il arqua les sourcils de façon complique tout en jetant un rapide coup d’œil à Aria qui, déjà, rouspétait… avant de taire ses protestations à la vue du café. Vous voyez, que c’est un collègue exemplaire !

« Une plainte ? »

Le sérieux repris ses droits sur le visage de Joshua, et il se pencha par-dessus l’épaule de la Princesse pour jeter un coup d’œil sur l’écran de l’ordinateur.

Il s’agissait donc d’un vol !
Sans son air si grave, probablement aurait-il pu passer pour indiscret. Un pli soucieux barra son front, pourtant. Franchement, comme s’il n’y avait pas assez à faire avec les mutants, pourraient-ils pas aussi arrêter les crimes de bas étages ? Ils avaient franchement d’autres chats à fouetter.

Il n’écoutait que d’une oreille l’échange qui se déroula ensuite entre Blair et Aria. Ouh, ces femmes. Si Blair le taquinait de son espièglerie mystérieuse, Aria, elle, réclamerait bel et bien vengeance. Diantre, il devrait revenir avec encore plus de café s’il ne voulait pas subir d’affreuses représailles.

Il leva les yeux au ciel.

« Oh, tu sais, notre temps… » Joshua jeta un coup d’œil circulaire aux bureaux avec un soupir. Ils étaient de corvées régulières, et l’ennui s’abattait sur eux avec autant de férocité que de flegme. « Disons que ce n’est pas une journée très intéressante. »

Qui laisserait tout le temps à Aria de lui faire payer son affront. Franchement, cette fille devait apprendre la mesure, un jour. Il poussa un soupir à fendre l’âme. Peut-être devrait-il inviter Blair à boire un verre ce soir, pour oublier l’ennui atterrant ? La raccompagner à la porte galamment et en profiter pour trouver plus de café ?

Il n’eut pas l’occasion de prendre de décision ; son nom fut hurlé à travers la pièce par ce bien aimé Sean qui revenait d’un entretien avec le sheriff. Fichtre diantre, qu’avait-il encore fait ? Il lança un regard interrogateur à sa collègue, un autre d’excuse à Blair. Il posa une main amicale sur l’épaule de cette dernière, comme pour lui donner du courage face à ce dragon de princesse. Quoi qu’il n’avait pas à s’en faire, visiblement, la solidarité féminine passait avant toute chose. Quel concept étrange.

« On devrait se revoir, à l’occasion, » sourit-il avant de s’éclipser vers le bureau.

Ah, puisque Blair se plaisait à jouer aux femmes mystérieuses, il pouvait attendre de pouvoir la surprendre avec une invitation ! Là, c’était trop évident. Puis avec Aria en témoin ? Ciel, c’était la chose la plus étrange qui aurait pu lui arriver !

Le sérieux affiché par Joshua tandis qu'il lisait par-dessus l'épaule de sa collègue rappela à Blair qu'elle devait faire attention. A jouer avec le feu, elle risquait de se brûler les ailes. Mais elle ne pouvait s'empêcher de le titiller, et puis il était tout à fait à son goût. Sauf que ce n'était ni le lieu ni le moment. Une petite moue dubitative plissa les lèvres de Blair alors qu'il lui expliquait que leur journée n'était guère des plus intéressantes. Elle aurait crû que les Peacekeepers auraient moults dossiers prenants, mais apparemment ils n'échappaient pas à la routine et à l'ennui qui allait de paire.

Quoi qu'il en soit, cette routine allait peut-être être chamboulée suite à l'appel qui retentit. Blair se tourna vers la source de cette émission sonore sans parvenir à identifier la personne venant d'interpeller Josh. Les affaires reprenaient. Elle sourit en réponse au regard d'excuse du jeune homme, comme pour lui dire qu'elle comprenait l'appel du travail. Par contre, elle ne s'attendait pas à la dernière phrase de Josh. Son sourire s'agrandit et elle hocha la tête.

- Avec plaisir Josh.

Ce dernier avait ses coordonnées puisqu'elle lui avait donné sa carte de visite à l'issue de leur première rencontre, donc il pouvait la contacter à sa convenance. Josh ayant pris congé et son dépôt de plainte étant terminé, Blair se tourna vers la préposée.

- Bonne journée à vous et ne l'esquintez pas trop, dit-elle avec un petit geste en direction du couloir emprunté par Joshua et un sourire de connivence.

Sur ces mots, elle quitta le poste de police, soulagée de retrouver l'air libre et de s'éloigner des Peacekeepers. Néanmoins elle préférait venir en tant que plaignante, plutôt qu'en tant que prisonnière. Elle espérait que sa couverture résistera à l'état d'isolement de la ville. Autrefois, elle avait tout le territoire pour échapper à la justice, maintenant cela se résumait à San Francisco. Une ville où les moyens de surveillance et de traque avaient augmenté suite à l'apparition des mutants. Blair lâcha un petit soupir. S'adapter, telle était sa ligne de conduite.

Aria, un coude savamment enfoncé dans les côtes de Joshua qui lisait par dessus son épaule, suivit avec grande attention les échanges de mots et de regards entre la plaignante et le peacekeeper… Sa curiosité pour les potins, née de longues années collections de petits détails croustillants, atteignait un paroxysme tel qu’elle se sentait prête à aller fouiller le dossier de Joshua et attraper un maximum d’informations sur cette Blair. Après tout, s’il y avait bien un avantage à travailler dans la station de police –elle ne restait certes pas pour leur immonde café…
Peut-être pourrait-elle découvrir le lien manifestement lourd d’intérêt réciproque qui unissait ces deux personnages. Elle sourit de plus belle, dans son gobelet. Sourire qui se changea brusquement en moue méprisante lorsque le nom de son collègue arriva jusqu’à ses oreilles. Le nom en soi était tout à fait charmant, mais la voix lui déplut âprement. Sean. Elle posa son gobelet, lança une vague œillade désintéressée vers son patron, attrapa le regard interrogateur de Joshua auquel elle répondit par un altier haussement d’épaule, et, reportant son attention sur son écran, valida la plainte.

L’interpellé s’enfuit, non sans une dernière attention envers Blair, ce qui redonna un peu de pétillant au regard de la princesse… Elle allait pouvoir le charrier… ? Elle allait sans doute pouvoir le charrier… Oh oui, à voir le ravissant sourire de sa plaignante…

Mais… ? Tiens. Aria fut surprise, et terriblement contrariée, de ressentir un pincement de jalousie. C’est vrai, elle était toujours passablement ennuyée de voir de jolies filles gagner les égards que d’ordinaire, on lui portait. Oui, ça devait être cela : elle était trop habituée à être la principale source d’attention de la plupart des gens dotés d’un minimum de bon goût. Sa Majesté devait mal s’accommoder d’une rivale lui disputant l’intérêt d’un valet… d’un collègue… qui lui apportait du café… Un valet promu… ? Bon, peut-être un ami.

Blair se tourna vers Aria qui esquissa un petit sourire saupoudré de malice, haussant un sourcil pour toute réaction à la remarque de sa plaignante.

- Je ne peux rien promettre, répartit-elle.

Puis, répondant au sourire de sa vis à vis

- Mais je tenterai de le laisser… sortable…

Elle ne voulait pas que Blair dusse se retrouver accompagnée d’un caddie de Joshua en pièces détachées.

- Bonne journée !

Et la demoiselle se retira. Aria avisa le prochain sur la liste : un petit homme chauve, l’air très angoissé, qui se triturait les ongles de façon tout à fait horripilante. Elle poussa un soupir, s’apprêta à s’asseoir à son poste, se ravisa et, raflant son gobelet à café presque vide, décampa vers des étages meilleurs…

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