Elle a toujours maudit ses parents pour les prénoms dont elle a été affublée. Née il y a de cela 28 ans dans une riche famille d'entrepreneur, elle se nomme Charlie Domino Shestfield. Charlie parce que ses parents pensaient attendre un garçon, Domino parce que sa mère voulait un deuxième prénom original pour son enfant. Elle est fille unique, choyée par une mère au foyer et gâtée par un père trop souvent absent. Richie Shestfield a fait fortune en vendant des poulets d'élevage à une grande firme de fast food et à de nombreux hôtels et restaurant dans tout les États Unis. De ce fait, il était rarement à la maison. Finalement, aujourd'hui encore, Charlie continue à dire qu'elle ne connaît pas bien son père et qu'elle connaît trop bien sa mère.
Son univers doré bascule alors qu'elle est âgée de dix neuf ans. Elle est seule dans la grande demeure familiale de Los Angeles, elle termine un long et fastidieux devoir de mathématique quand une affreuse odeur de souffre et de cramé lui chatouille les narines. Charlie se lève de son bureau en bougonnant et dévale les escaliers. Une fumée épaisse et noire s'échappe de la porte de la cave. Elle écarquille les yeux, horrifiée par ce qu'elle est en train de voir. Son instinct de survie la pousse à sortir de la maison, puis elle compose le 911. A l'autre bout du fil, une opératrice répond dès la première sonnerie.
«
Vite, la maison est en train de brûler... » Sanglote une voix adolescente.
« Calme toi, jeune fille. Où te trouve tu ? » Répond l'employée du centre d'appel.
«
C'est la maison de mon père, sur les collines d'Hollywood. La propriété Shestfield. »
« Je t'envoie les secours, reste en ligne. »
Il ne faut pas longtemps aux secours pour arriver. La famille Shestfield est plutôt bien connue dans la région de L.A. Certains les détestent, les accusant de maltraitance sur les animaux. D'autres rêvent d'un destin à la Richie Shestfield, cet homme débarqué de son Texas natal sans un sou en poche et qui constitue maintenant l'une des plus grosses richesses de la côte ouest. Debout, immobile, Charlie observe le balai incessant des voitures rouges et des hommes en uniforme. Elle regarde l'eau s'échapper de la lance à incendie, elle voit les flammes rougeoyer et détruire la maison. La toiture s'écroule dans un bruit infernal alors que la berline grand luxe de son père s'arrête dans un crissement de pneus. Ses parents s'en extirpent et se ruent sur elle, lui demandant comment elle va. Bien, malgré la suie sur ses joues et l'odeur de brûlé dans sa chevelure blonde. Il faudra presque un jour entier aux pompiers pour éteindre l'incendie et s'assurer qu'il ne reste plus aucun foyer susceptible de prendre feu à nouveau. Cependant, il ne reste plus rien de la maison, si ce n'est des murs noirs de suie qui peinent à tenir debout. C'est la première fois que Charlie voit son père pleurer, devant les débris cramoisis de ce qu'il a mis si longtemps à obtenir. Bien sur, il est assez fortuné pour construire une nouvelle demeure, peut être même plus belle que celle qui vient de s'envoler. Mais cette maison était le symbole de sa réussite, la preuve qu'aux États Unis, tout est possible et tout est réalisable.
C'est devant les ruines de ce qui fut sa maison que Charlie prendra une décision qui va bouleverser sa vie : Elle va devenir pompier.
« Ma fille ne sera jamais un soldat du feu, jamais ! Moi, Richie Shestfield je m'y oppose ! »
«
Tiens, tu t'occupes de mon éducation maintenant... »
La dispute entre le père et la fille est sans précédent. Si bien que Mme Shestfield a préféré aller promener le chien. Cela fait maintenant plusieurs mois que la maison a brûlé et que toute la petite famille s'est installée dans un hôtel particulier situé dans une des rues les plus prisées de tout Los Angeles. Et cela fait également plusieurs mois que Charlie s'est inscrite au camp d’entraînement des pompiers de la ville. Elle a commencé la préparation physique, délaissant peu à peu ses études. Elle n'a jamais été bien douée en classe de toute façon. Si elle continue sur cette lancée, elle pourra intégrer l'unité des jeunes pompiers à sa majorité.
«
Je me fiche de ton opinion, papa. Je veux exercer un métier utile aux autres et enrichissant. Elever des poulets de batterie ne m'intéresse pas ! » Charlie bouillonne, sa tête tourne sous la violence de la gifle de son père.
« Petite ingrate ! Tu étais bien contente de les trouver mes poulets pour t'acheter le dernier smartphone à la mode. Monte dans ta chambre et je ne veux plus jamais entendre parler de ce camp d’entraînement des pompiers ! »
Charlie n'a pas écouté et n'a quasiment plus de rapport avec son père. Elle a vingt huit ans désormais et ne voit ses parents que quatre fois dans l'année : Pour les anniversaires et pour Thanksgiving. Et encore, quand elle n'est pas de garde et quand elle n'est pas appelée d'urgence sur une intervention. Elle vit dans un petit appartement du nord de Los Angeles avec son petit ami, Olaf. Il est d'origine scandinave et il travaille au centre d'appel d'urgence. C'est comme cela qu'ils se sont rencontrés. Tout allait bien au début mais la passion dévorante de Charlie pour son métier les éloigne chaque jour un peu plus. Leur couple bat de l'aile mais elle ferme les yeux parce que, malgré tout, elle est amoureuse.
« Sois sérieuse, Charlie... Tu ne peux pas y aller ! »
«
Toute ma brigade y est envoyée, je n'ai pas le choix Olaf. »
Charlie fourre quelques vêtements dans un sac de sport noir à l'effigie des Los Angeles Kings, l'équipe de hockey sur glace locale. Elle est appelée à intervenir au plus vite sur une explosion qui a ravagé une grande partie de San Francisco. Elle ne sait pas vraiment ce qu'il en retourne, son chef leur expliquera tout dans le camion pour ne pas perdre de temps.
« Non, tu n'y es pas obligée. Tu aimes tellement ce que tu fais que tu t'y sens obligée. Tu t'es éloignée de tes parents pour ce boulot et maintenant, c'est de moi que tu t'éloignes. »
Mais la blonde n'écoute déjà plus. Elle ferme le sac et le jette sur son épaule. Elle ne veut pas répliquer, elle ne veut pas d'une dispute avant de partir.
«
Écoute, je vais revenir, je te le promets.. On en discutera à ce moment là. Je n'ai pas le temps, mes collègues m'attendent. »
« Si tu pars Charlie, ce n'est pas la peine de revenir. »
Elle se retourne, le regarde. Olaf est planté au milieu du couloir, avec un air de chien battu. Elle se contente d'un sourire triste puis tourne les talons. Finalement, la chose la plus importante dans sa vie est son job. La porte se referme sur elle et elle est loin d'imaginer qu'elle ne reverra probablement jamais son appartement.
La Zone 0. Charlie n'a jamais vu ça de toute sa vie. Plantée au milieu de la rue, elle lève les yeux vers le ciel. L'odeur âcre de la fumée jaune lui chatouille les narines malgré son équipement. Les civils courent de partout, bouscule les pompiers et les policiers sans même les voir. Une main se pose sur son épaule, c'est Roy, un de ses collègues.
« Ca va aller ? »
«
Ouais, t'inquiètes... »
Elle se dégage de son emprise mais non, ça ne va pas. Elle ne sait pas où donner de la tête, les habitants hurlent à lui en vriller les tympans. Elle s'élance à la suite de sa brigade mais plus ils éteignent de foyers, plus les incendies redoublent. Elle ne sait pas vraiment combien de temps elle passe à tenter de maîtriser les nombreux incendies. Elle ne sait pas vraiment combien de personnes elle a aidé à sortir des décombres de ce qui fut... Elle ne sait même pas ce que c'était. Elle aime son métier plus que tout mais en toute honnêteté, elle ne sait pas ce qu'elle fout là. C'est inhumain, c'est horrible. C'est innommable. C'est la Zone 0.
Finalement de retour à la caserne, après plusieurs nouvelles heures passées au plus près de l'horreur, Charlie sort d'une douche bien méritée. Elle est à San Francisco depuis presque un mois et rien ne semble s'être arrangé. Elle a les yeux rougis d'une personne qui a pleuré mais lorsqu'on lui pose la question, elle prétexte s'être versé du shampooing dans les yeux. Elle se laisse tomber sur un des fauteuils de la salle de repos et regarde distraitement la télévision quand un flash spécial lui fait dresser les cheveux sur la tête. San Francisco est mise en quarantaine, personne ne peut y entrer et encore moins en sortir. Elle est prisonnière. Roy tourne la tête vers elle, elle le fixe sans parler.
« Charlie... Tes mains. »
La blonde baisse les yeux pour découvrir une peau rougie et brûlante. Elle se précipite au point d'eau de la salle de repos, plonge ses doigts sous un jet glacé mais rien y fait. Puis, sous son regard horrifié, ses mains s'embrasent.
Quelques jours après cet épisode aussi fâcheux que désagréable, toute la brigade est amenée à subir une série de test. Ceux ci ont pour but de vérifier
« que tout va pour le mieux », dixit le type qui est venu les voir pour leur annoncer la nouvelle. Charlie s'y prête, bien malgré elle. Elle sait que ses résultats ne seront pas conformes, elle sait que quelque chose cloche chez elle. Elle a bien entendu des bruits de couloir, il se murmure chez les pompiers que la Zone 0 déclenche des phénomènes étranges. Que les gens deviennent bizarres et sont envoyés quelque part pour y être enfermés. Pourtant, comme tout le monde, la blonde joue le jeu avec un sourire forcé. Dans quelques jours, elle sera un numéro supplémentaire sur les listes des gens bizarres enfermés elle ne sait où. Elle soupire et tends son bras à l'infirmière qui se tient devant elle.
Elle est debout, alignée avec toute sa brigade. Le type d'abord venu leur annoncer qu'ils devaient subir des tests se tient devant eux. Cette fois, c'est les résultats qu'il a dans les mains. Charlie ferme un instant les yeux, s'attendant à être embarquée par une armada d'homme sortis tout droit du film Men In Black. Elle a les mains croisées dans le dos, elle fredonne l'hymne américain pour se donner du courage et garder une certaine contenance. Si l'Etat décide qu'elle doit être enfermée, alors il en sera ainsi. Charlie n'a pas pour habitude de contester les décisions gouvernementales.
« J'ai le plaisir de vous annoncer qu'aucun de vous n'est contaminé. Vous allez tous très bien. Désormais, vous faites partie des Peacekeepers, il est de votre devoir d'aider les forces de l'ordre dans l'exer... »
Elle n'a pas écouté la fin du discours. Le début lui a scié les jambes. Comment est-ce possible ? Pourquoi n'ont ils rien trouvé ? Son honnêteté sans faille la pousse à esquisser un mouvement mais une main se pose sur son bras. Roy la regarde et hoche la tête discrètement en signe de dénégation. Il veut qu'elle se taise. C'est lui qui a raison. Lui, son ami de toujours. Alors elle tourne la tête vers le type qui parle et prends consciencieusement note de tout ce qu'il dit.
Deux mois déjà que Charlie, Roy et toute la brigade des pompiers de Los Angeles sont retenus à San Francisco. Elle maîtrise de mieux en mieux sa mutation, parce qu'elle n'a pas le choix si elle ne veut pas que son secret soit découvert. Elle a fait promettre à Roy de ne rien dire à personne, surtout pas au reste de l'équipe. Les rumeurs qui couraient et le lieu tant évoqué à maintenant un nom : Alcatraz. Charlie doit tout faire pour ne pas y être envoyée et essaie de faire de son mieux. Mais chasser les mutants n'est pas évident, elle est comme eux. Le sérum a autant d'effet sur elle qu'il en a sur les cibles. Un jour où l'autre, elle aussi... Non, elle refuse de penser une telle chose. Son patriotisme et sa foi en l'Etat Américain la sauveront.
In God We Trust.