Impossible de s’ennuyer quand on s’appelait Joshua Stone. Entre la Neo Corp., son boulot de Peacekeeper et ses nuits folles, on pouvait dire qu’il avait une existence bien remplie. Et tant mieux. Il aimait se lever chaque matin et s’activer au plus vite, entrer dans ce rythme effréné pour n’avoir pas un instant d’ennui, accomplir les tâches confiées avec une ferveur fanatique qu’il le fallait. Finalement, pour lui, la catastrophe de San Francisco était une aubaine ; jamais il n’avait eu autant à faire, et autant de personnes à enquiquiner au quotidien. Il chérissait ses moments avec Aria et Sean, était un peu plus tranquille en ce qui concernait ce rival jaloux de Greyson Jones qui traînait toujours dans ses pattes et, cerise sur le gâteau, commençait à percer la carapace de glace dont usait sans cesse miss Hawkins sur lui. Il avait trouvé, pour ainsi dire, un parfait équilibre qui seyait à son hyperactivité – car oui, c’était quelque part de l’hyperactivité, car jamais il ne se laissait aller dans l’inaction, quand bien même abordait-il la plupart des situations avec un flegme suave.

Ce matin-là serait un défi de plus, délicieusement pimenté, espérait-il. Jour de congé en ce qui concernait son profil de Peacekeeper, il allait mener une petite mission pour son bien aimé patron. L’idée que Charlotte, en ce même jour, moisissait dans une salle d’interrogatoire avait quelque chose d’hilarant. Il regrettait de ne pas y être, car, à vrai dire, il aurait adoré voir Aria et la secrétaire enfermées dans la même pièce. Mais il se doutait bien que toutes ces machinations avaient un but bien précis, et que le timing du grand chef n’avait rien d’un hasard.

En attendant le personnage qui intriguait tant Jeffrey Gallagher, Joshua explora l’appartement à l’abandon utilisé pour la rencontre. La chose ne lui prit que peu de temps ; une pièce principale, qui faisait aussi bien office de cuisine que de séjour, une petite chambre miteuse et une salle de bain qui hébergeait une colonie de moisissures en tout genre… Effectivement, difficile de se douter que les lieux appartenaient à la Neo Corp. pour diverses utilisations clandestines. Soupirant, Joshua se versa une tasse de café et s’installa à la petite table, sur une chaise bien trop inconfortable à son goût. À sa plus grande joie, il entendit la sonnette – qui s’apparentait davantage à un grincement qu’à une sonnerie – indiquant que son invité avait une dizaine de minutes d’avance. Parfait.

Il ouvrit la porte et toisa le son invité avec un regard amène, quoi que sérieux. Kramo ? Son patron avait de bien curieux pseudos… Joshua fit tous les efforts du monde pour demeurer impassible et ne pas éclater de rire. Il avait du pain sur la planche, après tout.

« Marty, je suppose ? Entrez. »

Et il s’effaça pour laisser passer le geek, puis referma la porte derrière eux, non sans jeter un coup d’œil dans le couloir pour s’assurer que personne n’avait suivi le suspect. Parce que oui, dans l’affaire, le jeune homme lui paraissait bien suspect.

« Je vous en prie, asseyez-vous. Café ? »

L’invitation avait plus des airs d’ordres dans la bouche de Joshua et la question, bien que concise, avait pour but de radoucir l’ambiance, mais pas trop non plus. Oh, oui, inquiéter un peu son interlocuteur était une chose nécessaire, vu comment se présentait la chose… L’important, pour le moment, c’était de se tenir sur ses gardes, histoire d’arrêter le jeune homme s’il lui prenait l’envie de se carapater ; ce fut donc soigneusement que Joshua se plaça près de la cafetière, bien entre lui et ledit Marty - qu'il savait pertinemment être le petit informaticien de la station - pour lui couper toute retraite.

L'appartement, comme Jeffrey put le constater sitôt à l'intérieur, n'était pas en très bon état. Les meubles, pour la plupart, semblaient vieillots, et de toute évidence la poussière n'avait pas été faites depuis un moment. Il était difficile à imaginer que l'homme auquel il avait à faire, grand gaillard assez propre sur lui, pouvait vivre en un lieu si décrépit.

Kramo ne lui avait pas parlé, dans son mail, d'une quelconque personne qui serait là pour l'accueillir. Étrange et surprenant à la fois, mais sans doute n'avait-il pas eut les moyens d'en dire plus, pensa le jeune homme en posant son sac sur la table de la pièce principale pour en extraire son précieux ordinateur.

L'homme, quoique discret et détendu, l'observait attentivement, donnant au jeune étudiant l'impression qu'on le jaugeait au moindre de ses mouvement. Cet homme, de toute évidence, était habitué à ce genre de situation, ou bien cachait-il sa nervosité avec beaucoup de talent. Que pouvait-il craindre, après tout, d'un si jeune garçon, maigrelet, faible... Rien, rien, tout son contraire, pensa-t'il, en se demandant ce que cet homme pouvait bien avoir à faire avec Kramo.

- Non merci. Dit-il doucement, un sourire crispé aux bords des lèvres, lorsque l'inconnu lui proposa une tasse de café. Je n'en boit pas.

De son sac, en plus de l'ordinateur portable désormais à plat sur la table, le jeune homme avait sorti trois câbles aux embouts divers. Resté debout, Jeffrey jeta un nouveau coup d'oeil inquiet en direction de l'inconnu puis se mit à la recherche de la prise téléphonique ou réseau de l'appartement.

- Je dois me connecter au réseau. Dit-il simplement en marchant le long d'un mur, le regard tantôt vers les recoins de la pièce, tantôt vers l'inconnu.

Il était curieux, pensa-t'il, qu'il doive se rendre en un point si particulier pour se connecter, mais sans doute y avait-il quelque-chose qu'il ignorait. Kramo pensait peut-être passer par satellite, ou bien avait-il une machine à lui en fonctionnement dans le coin... Les possibilités étaient multiples, mais bientôt, ils en auraient le coeur net.

- Vous travaillez avec Kramo ? Enfin, travailliez, peut-être. Vous avez un boulot ici ?Dit-il, sans même regarder l'inconnu, en branchant un des câble dans une prise murale.

C’était qu’il prenait ses aises !

Ce fut, amusé, qu’il suivit le jeune homme du regard. Tout concentré à sa tâche, c’était à peine s’il faisait réellement attention au garde du corps, si ce n’était pas ses palabres et ses coups d’œil fréquents. Et il se connectait, en plus ? Il doutait que cela fût bien utile… Y avait-il seulement une connexion dans cet immeuble ? C’était un appartement de planque, après tout… Mais bon, Josh n’y connaissait absolument rien en informatique et diverses technologies ; c’était pas du tout son domaine. Lui n’était que l’armoire à glace, éventuellement tacticien à ses heures perdues, pompier fut un temps, videur quand l’ennui le prenait, Peacekeeper pour l’infiltration… La liste était longue, mais aucune de ses expériences n’impliquait un clavier et un écran. Il était grand temps d’attirer l’attention du loustique avant qu’il ne découvrît le pot aux roses de lui-même. Joshua l’interpela donc, une note d’amusement perçant dans son ton professionnel à souhait :

« Hé, doucement, Marty… »

Il attendit d’être certain que l’étudiant l’écoutait avant de poursuivre, d’un ton poli, mais ferme :

« Ou plutôt Jeffrey. Tu permets que je t’appelle Jeffrey ? Faut qu’on discute. »

Il était loin de se douter qu’au même instant, Aria posait une question similaire à Charlotte. Il désigna la chaise de la main pour inviter le garçon à s’asseoir. C’était un peu la partie délicate du jeu, cet instant où la méfiance se distillait dans les veines de son invité. Et s’il s’agissait d’un mutant ? Pour des raisons évidentes de discrétion, mais aussi pour inciter à la confiance, Joshua ne portait pas son arme directement sur lui ; elle était dissimulée, à un pas de là, en cas de force majeure. Mais c’était un pas de trop, un pas qui pourrait lui coûter la vie, il le savait. Il repoussa ses idées noires d’un soupir, et, ne sachant trop par où commencer sans compromettre sa mission, il lâcha tout simplement :

« Je travaille pour Kramo. Et, ce n’est pas vraiment pour je ne sais quelle raison il a prétexté qu’il t’a fait venir ici. »

C’était direct et osé, voire dangereux… Le garde du corps fit comme si de rien n’était cependant ; il porta sa tasse de café à ses lèvres, d’un air absolument détendu. Mais cela, c’était que les apparences : en réalité, il était prêt à réagir à tout instant, ses muscles imperceptiblement tendus, les sens en alerte et ne quittant pas Jeffrey des yeux.

Plus que jamais absorbé par la tâche qui lui avait été assignée, le jeune homme se retourna soudain lorsque l'inconnu l'invectiva, un air surpris, gêné, apeuré, car il avait bien cru sentir dans le voix du garde du corps comme une pointe d'impératif. Quelque-chose de ses mots avait laissé affleurer un moment, de cet homme à priori calme, la glaciale violence d'un mafieux.

Le jeune homme s'était relevé, une extrémité du câble en main alors que l'autre était désormais dans la prise murale, lorsque l'inconnu l'appela par son prénom. Comment ! Pensa-t'il, surpris. Comment pouvait-il savoir ? Marty était un pseudonyme qu'il utilisait exclusivement dans le milieu du hacking, secret, protégé... Pas suffisamment protégé, de toute évidence. Pas pour Kramo...

Invité à s'asseoir, l'étudiant s'exécuta, lentement, sans quitter l'inconnu des yeux. Cet homme... Qui était-il donc ? Quelque-chose en lui l'inquiétait. Son physique, son regard, sa voix. Un frisson parcouru l'échine de l'étudiant lorsqu'il s'asseilla enfin sur la vieille chaise en bois, face au garde du corps, tout juste séparés par la table où son ordinateur attendait, encore fermé.

C'était la deuxième fois qu'on l'attirait... Deux fois qu'on se servait de lui. La première fois, Killy, et maintenant, lui. Peut-être la connaissait-il. Il ne pouvait le vérifier. Mais que savait-il exactement ? Depuis combien de temps était-il surveillé ? Jeffrey fronça les sourcils. Son coeur, il l'aurait juré, cherchait à lui rompre les côtes.

- Et pourquoi m'aurait-il mentit ? Dit-il en enfonçant doucement l'autre extrémité du cable dans un des port de son ordinateur. Et vous le connaissez comment ?

La situation lui échappait, et il détestait ça. Cet homme, de toute évidence, tenait plus du videur que du hacker, et Jeffrey commençait à douter, en le voyant, qu'il ai jamais été là pour l'assister. Alors que pour l'intimider... Par contre... Etait une tâche bien plus appropriée pour un tel individu.

Alors que pouvait-il faire désormais ? Fuir ? Cela semblait difficile. Le temps de sortir, de défaire le cadenas de son vélo... En priant pour que ce type ne dispose de rien de plus rapide. Cela semblait difficile. Alors il restait la fenêtre, pensa-t'il en y jetant un discret coup d'oeil. Ils étaient au 3ème, mais il pouvait descendre sur le toit du bâtiment voisin. Si nécessaire... Pensa-t'il alors que diverses scènes d'action lui revenaient à l'esprit. Mais les cascadeurs, eux, traversent des vitres en sucre... Pas en double-vitrage.

- C'est qui ce Kramo, d'ailleurs, pour faire appel à des armoires à glace ? Dit-il d'un air faussement détendu en pensant qu'il n'avait rien fait de mal après tout. Cet homme savait qui il était, fuir ne lui apporterait rien. Ils n'avaient aucunes raisons de lui faire du mal... A moins que... Killy...

Comment connaissait-il le personnage ? Ahah ! Il répliqua, dévoilant son identité à son tour, chose risquée, mais nécessaire pour évoluer sur une sorte de pied d'égalité. En revanche, son ton incitait à la prudence et signifiait tout aussi clairement qu’il détenait la vérité. À moins qu’il fût un excellent menteur.

« Je m'appelle Josh, et je connais Kramo bien mieux que toi. Comme je te le disais, je travaille pour lui… »

Joshua réalisa ne pouvait pas laisser le choix au jeune homme. Les instructions vagues de son patron prenaient toute leur ampleur à mesure qu'il sentait la méfiance de son interlocuteur. Marty était malin, c'était certain. Intelligent. Bien plus que Josh, lui n'était que garde du corps, bienvenu pour sa stature que seul le silence pouvait parfaire. Retenir des informations était une tâche nouvelle, par exemple, jamais on ne lui avait demandé autant de ses métiers – il s’en sortait à merveille, mais avec une passivité flegmatique, et un sens de l’observation uniquement rivé sur ce que son métier premier lui imposait, s’attardant davantage sur les choses suspicieuses et les menaces potentielles que les détails utiles à l’espionnage plus classique. Quant à son côté bavarde, lorsqu’il ouvrait la bouche, c'était la plupart du temps pour raconter conneries et boutades qu'il affectionnait tant. Autant dire rien de bien intellectuel ; se donner en spectacle était tellement plus divertissant.

Bref. Il ne pourrait rien cacher à Jeffrey. Il ne pouvait pas lui laisser le choix, ce n'était qu'un ultimatum à peine étudié. Quand il rouvrit la bouche, le garde du corps savait qu'il ne faudrait guère longtemps au génie de l'informatique pour réunir les pièces du puzzle. Il reprit donc, avec patience, un soupçon accusateur aussi ; il n'était jamais bien plaisant pour un agent de sécurité que d'apprendre que justement, la sécurité mise en place avait été déjouée, quelque fût le domaine :

« C'est quelqu'un d'important. Et il semblerait que tu aies malencontreusement mis la main sur des données qui lui appartiennent. »

Convertir ou réduire au silence. Ce n'était pas le travail habituel de Josh. Il ne passerait même pas par la seconde partie ; l'homme de main de Jeffrey Gallagher, brute qui n'avait pas peur de se salir les mains, était bien plus utile. Mais pour les négociations, il semblerait que Josh eût un profil plus avenant. Seul le résultat de cet entretien en témoignerait. À proférer des menaces à peine voilées... La chose étant que Mcfly était bien plus utile vivant et qu'il était hors de question pour Gallagher de s'embarrasser d'un électron libre dans de telles circonstances. S'ils ne parvenaient pas à un accord, il faudrait d'une façon ou d'une autre récupérer les données avant de mener l'insolent hacker au poste. La couverture de Josh s'effriterait probablement, Gallagher prouverait qu'il avait quelque chose à cacher... Ou alors, le grand patron ferait preuve de moins de sensiblerie que son chouchou et règlerait le problème de façon bien plus expéditive. Pauvre gosse. Ne lui avait-on jamais dit que la curiosité était un vilain défaut ?

Autre détail : aurait-il le culot de nier ?

Spoiler:

Jeffrey, le coeur en panique, ne quittait plus l'homme des yeux. Il était venu de plein gré, mais pour de mauvaises raisons. L'individu l'observait d'un air insistant. Il le jaugeait et semblait choisir ses phrases avec tact... Trop de tact... Comme s'il y avait des choses qu'il ne souhaitait dire, comme s'il inventait une histoire à chacun des ses mots. Jeffrey aurait aimé être un flic. Ainsi sans-doute aurait-il put discerner le mensonge de la vérité. Ainsi sans-doute aurait-il put savoir, pensait-il. Des scènes d'interrogatoire, il en avait vu par dizaines, à la télé, et même une fois il avait put tendre l'oreille pour en entendre quelques brides chez les Peace Keeper... Mais entre les films et la réalité, il y avait une sacré marge.

Et là, principalement, il avait peur. Et il cherchait à le masquer. La logique était sa force. Qu'il perde son sang froid et cet homme pourrait faire ce qu'il voulait de lui. Non, il n'avait rien à craindre, car il n'avait rien à se reprocher... Quoique.

Jeffrey, avec d'avantage de calme encore qu'il s'en serait cru capable, feint la surprise lorsque l'inconnu lui parla des données. Et en toute bonne foi, il se demanda un instant s'il s'agissait bien des données que lui avaient fournies Killy. Pourquoi Kramo viendrait-il réclamer des documents de la Néo Corp ? Se demandait-t'il. Cela ne tenait pas debout.

- Des données... Je ne met la main sur aucune donnée moi ! Dit-il avec conviction, parfaitement confiant qu'aucune preuve ne pourrait être obtenue grâce à son ordinateur. Tout juste pourraient-ils trouver quelques programmes inoffensifs. Mais sans mot de passe, toute une partie du disque dur leur serait fermé. D'autant que, soyons francs, la personne à qui il avait affaire n'avait en rien l'air d'une pointure.

- Vous devez vous tromper. Dit-il en jetant à Josh un regard réprobateur, avant de ravaler sa salive. Car des raisons d'avoir peur, malgré tout, il en avait. L'homme était-il sûr de ce qu'il avançait ? Serait-il prêt à tout pour obtenir la vérité ? Car après tout, le mot de passe, il le connaissait. Et s'il y avait une autre chose que les films lui avaient apprise, c'est que la torture était un judicieux moyen d'obtenir des informations.

D'un bras crispé le jeune homme saisit son ordinateur et entreprit de le glisser dans son sac.
- Maintenant, excusez moi. Je n'ai rien fait. Je m'en vais. Dit-il en se levant de sa chaise, sachant bien que ses chances que Josh ne s'interpose pas étaient minimes, mais conscient aussi qu'il ne pourrait justement agir qu'en ayant bonne connaissance du niveau de dangerosité de l'homme à qui il avait à faire.

Spoiler:

Jeunesse effrontée…
Ceci étant, Joshua ne pouvait pas vraiment en vouloir au jeune pirate, il se trouvait justement dans une situation des plus délicates qu’il aurait pu éviter en faisant preuve d’un peu de prudence. Le garde du corps se demanda, aussi, si Jeffrey était vraiment responsable de la situation en elle-même. S’agissait-il d’un pauvre petit prestataire pour quelqu’un qui cherchait à attaquer l’entreprise ? Enfin, le patron devait avoir envisagé cette possibilité aussi. Et là encore, Jeffrey lui serait bien plus utile dans l’entreprise qu’à vaquer à ses petites tâches quotidiennes ou encore derrière les barreaux à la station de police.

Il se pencha en avant, posa une main ferme sur le sac du jeune homme pour le retenir sans se montrer trop agressif et braqua un regard compréhensif envers l’informaticien.

« Allons bon. Je sais bien que je ne suis pas qualifié pour en juger, mais cela m’étonnerait que… Kramo se trompe. »

Avait-il deviné, déjà, qui était Kramo ? Auquel cas, il le dissimulait bien. Ou alors, il n’avait pas encore fait le lien ; il paraissait toujours plus évident de mettre en relation les éléments quand on les connaissait déjà. Puisque de toute façon, Jeffrey était dans l’impasse, Joshua ne le handicaperait pas tellement s’il lui révélait pour de bon, plutôt que de poursuivre cette conversation à tâtons. Il se leva, relâchant sa prise sur le jeune homme et abandonnant la tasse sur la table. Ce fût en le toisant, donc, qu’il répliqua, sans vouloir être particulièrement intimidant ; cela, il l’était naturellement.

« Tu n’as pas beaucoup d’option, et partir est l’une de celles que je te déconseille fortement. On peut régler ça ici ou chez les Peacekeepers. Monsieur Gallagher t’offre une chance de te racheter sans trop de vague… Tu ne veux pas en savoir plus ? »

Il laissa ses paroles faire leur chemin dans l’esprit de Jeffrey ; Joshua fit quelques pas dans la pièce, les mains croisées dans le dos, comptant sur ses réflexes pour empêcher l’étudiant de sortir – et puis le rattraper ne serait pas bien difficile, en moto. Il commençait à se demander à quoi rimait donc tout ceci. Joshua n’avait jamais été très regardant sur les ordres qui étaient des ordres de toute façon. Il mettait un point d’honneur à ne jamais poser de question et à ne jamais se poser de question de toute façon. Ceci étant, dans un tel contexte… Que diable pouvait avoir à cacher Gallagher de si important ? Ce n’était pas comme si les gens le prenait pour un bénévole, ils savaient que ses petits arrangements, en plus de permettre à la société de San Francisco de subsister, lui rapportait pas mal d’argent… La situation se présentait alors sous un tout nouveau jour… Et cela ne lui plaisait guère.

Il écarta les doutes de ses pensées dans un élan de professionnalisme indigné et reporta calmement son attention sur le petit Marty.

Spoiler:

D'un geste calme mais autoritaire, l'armoire à glace retint le sac à dos de l'adolescent, puis se leva pour lui faire face. Il faisait une tête de plus que Jeffrey, et on aurait presque dit le double en largeur. Cet homme était de toute évidence taillé pour son métier, mais, quel était-il d'ailleurs, son métier ?

Jeffrey, face à cette brute, n'en menait pas large. Il s'était bien douté, en se levant, que Joshua ne resterait pas là à le regarder partir, et quelque-part il avait réagit moins violemment qu'il aurait put le craindre. Une chance pour lui... Mais ce qu'il dit finalement le surpris tout particulièrement. Gallagher ? Chez les Peace Keepers ? Le jeune homme était resté coi un moment puis, avec aplomb, rétorqua.

- Mais je n'ai rien fait, okay ? De quoi je voudrais me racheter ? Vous êtes pas en train d'inventer un truc pour me menacer là ? Et puis c'est quoi ces histoires de Peace Keeper ? Vous travaillez pour eux ? Parfait, moi aussi, un jour sur deux. Pourquoi vous m'avez fait venir ici si vous pouvez me trouver là bas ?

Gallagher, il le savait depuis peu, était l'homme à la tête de la Neo Corp. Après avoir déchiffré les documents que lui avait fourni Killy, il avait passé pas mal de temps à rechercher des informations sur ce type et sur sa société, sans rien trouver de bien concluant. La seule chose dont il était certain, et que tout le monde savait bien ici, était que sa société était devenue la plus puissante du coin. Plus puissante que les police, que les politiques. Si Gallagher lui même, ou un de ses seconds, avaient personnellement envoyé Joshua, pensa le jeune homme, il n'y aurait nul part en ville où il pourrait se cacher. Et rien que d'y penser, il sentit doucement craquer. Il avait peur. Ses mains, son corps, tremblait. Et sa voix se fit hésitante.

- Laissez moi partir. Dit-il d'un ton supplicatif. Il luttait pour ne pas pleurer. Je sais pas ce que vous me reprochez. J'ai rien fais !

Spoiler:

L’état de Jeffrey termina de blinder le Peacekeeper. Quand certains se laissaient attendrir, lui privilégiait une façade de glace. Il ne se laisserait pas émouvoir, était incapable de gérer ce genre de choix existentiels et par conséquent, faisait en sorte de ne pas avoir à faire lesdits choix. Il rangea la partie humaine dans un recoin de son être et magnifia davantage son professionnalisme soigné. Si la situation lui déplaisait, il n’en montra rien, si ce n’était pas un froncement de sourcil agacé qui signifiait simplement qu’il commençait à s’impatienter. Comme beaucoup, il n’appréciait guère perdre son temps et cela collait d’autant plus avec sa profession. Ce n’était pas que Joshua était sans cœur – bien que sa personnalité fût sertie d’une bonne dose de cynisme, un soupçon d’égoïsme et une vénalité tenace – seulement qu’il préférait écarter les soucis de morale quand cela l’arrangeait. Il agissait pour le bien de son entreprise et, sans se verser dans les tâches les plus salissantes, se satisfaisait tout simplement de l’exécution de sa mission.

Dans une raide froideur, il se détourna de l’informaticien et il se saisit d’une pochette verte sur le plan de travail de la cuisine. Il ignorait tous des documents qu’il y avait à l’intérieur. Ils ne lui étaient pas adressés. C’était pour Marty, comme indiquait l’étiquette soigneusement collée dessus – il reconnaissait là la minutie qui frisait la folle maniaquerie de Charlotte. « Si tu as besoin de preuve… », avait dit Gallagher tout en tendant la pochette à Joshua le matin même. D’un geste faussement désinvolte, il posa cette dernière sur la table et se rassit.

« Monsieur Gallagher – Kramo, donc – m’a laissé ces documents à ton adresse, pour que je puisse te les donner si on se trouvait dans une telle situation. »

Par situation, il entendait bien entendu que le gamin clamait son innocence, niait les faits avec ferveur et désespoir, histoire de gagner du temps ou bien dans un réel espoir d’attendrir l’homme de main de Gallgher. Une prévision qui s’avérait exacte, de toute évidence. Joshua désigna la pochette du menton :

« Je t’en prie, jette un coup d’œil. »

Je n’ai pas l’intention de te laisser partir, précisait son regard insistant, rivé sur l’étudiant. Oh, qu’il espérait que le contenu de cette fichue pochette fût suffisant pour convaincre le pirate informatique de bien vouloir écouter l’offre ! Il ne voyait pas comment le convaincre gentiment autrement. Restait les techniques un peu moins gentilles, ce qui ne l’enchantait guère. Ou alors, il appelait du renfort, ce qui l’enchantait encore moins. Bref. Rien de bien folichon à son sens – quoi que, cela pourrait en amuser d’autres – et un peu longuet, tout de même.

Spoiler:

Le jeune homme resta immobile un moment, un regard perdu en direction de l'homme et l'épaisse enveloppe qu'il avait posée sur le table. Le coeur en panique, il sentait son esprit fléchir à son tour, comme incapable d'aligner quelques pensées sans sombrer dans un gouffre de peurs inexpliquées. Devait-il seulement l'ouvrir ? Continuer à nier ? Refuser d'y jeter un oeil ? Il se tourna vers la porte, puis la fenêtre. Fuir... Il pourrait fuir. Mais si cet homme était l'envoyé de Gallagher, jamais il ne trouverait lieu suffisamment sûr.

Il avait peur, peur, et ne parvenait plus à penser. Ses mains tremblaient, à l'inverse de ses jambes qu'ils sentit plus lourdes que jamais. Il se savait prit, piégé, happé, par une force qu'il ne pouvait combattre. Ils voulaient quelque-chose de lui, encore... Encore... Pourquoi lui ? Pourquoi devrait-il ? Et qu'en était-il de Killy à présent ? S'était-elle faite prendre, elle aussi ? Il s'inquiéta pour elle, avant de se demander pourquoi. Elle ne lui avait guère laissé le choix, elle non plus. Et ne méritait pas sa pitié. C'était à cause d'elle, tout ça ! Ce monde n'était plus que peur, désormais. Il ne pouvait faire confiance à personne.

- Je...

Il hésitait... Encore. Scruté pour cet homme dont le regard lui sembla celui d'un tueur. Pourrait-il mourir ici ? Pas s'il collaborait... Pas tout de suite. Mais qu'en serait-il plus tard... Plus tard... Le temps était désormais un luxe qu'ils ne pourrait s'offrir que d'une unique manière.

Le jeune homme s'approcha de la table et, avec un semblant de calme retrouvé, ouvrit la lettre pour en examiner le contenu. Il y avait là des preuves, des documents, des choses qui n'auraient dut être découvertes, et attestaient d'une intrusion dans son ordinateur. Il grimaça en rageant intérieurement. Quelqu'un était de toute évidence parvenu à déjouer ses précautions. Heureusement, ils ne semblaient pas avoir découvert l'existence de Killy. Mais le plus surprenant, pensa-t'il, aurait été de savoir la manière dont ils étaient venus à le soupçonner de quoi que ce soit. Pourquoi lui ? Et depuis quant ? Gallagher, de toute évidence, surveillait une bonne partie de la population, c'était là le seul moyen.

- Et votre Gallagher n'a pas les moyen de se payer ses propres informaticiens ?
Il est forcé de faire chanter ses employés ? Lança le jeune homme d'un air furieux, débout face à la table.

- Vous aussi vous êtes son esclave ?

Oh, voyons. Joshua n’était tout de même pas le croque-mitaine, si ? Pourquoi ce regard sinon ? Il n’allait pas dévorer Jeffrey tout cru. Juste l’intimider un peu. La manœuvre n’était-elle pas un petit peu trop réussie ? Visiblement, si ; il aimerait bien mettre la Princesse dans la confidence concernant sa double identité ; il pourrait lui raconter alors ses curieuses péripéties. Hm, ne s’attachait-il pas un peu trop à sa petite altesse.

Donc, après la peur, la colère. C’était prévisible. Et ennuyeux. Joshua avait probablement un caractère trop égal, trop placide pour pouvoir supporter la colère des autres. Quand était-ce la dernière fois qu’il s’était lui-même énervé ? Pas agacé de manière fugace, mais une véritable fureur qui brûle dans les veines et faisait vibrer l’atmosphère, cette colère dévastatrice qui brouillait tout jugement et transfigurait un visage avenant ? Il ne savait plus. Ou peut-être ne voulait-il pas se souvenir. Il fallait dire aussi qu’un tel état ne devait pas tellement lui aller au teint ; il se visualisait mal rouge comme une tomate, alors que son impassibilité était une qualité indispensable dans son métier.

Agacement, donc. Il en resterait donc-là. Sa main trouva la table, et il y pianota du bout des doigts. Esclave, lui ? S’il était esclave de quelque chose, c’était probablement de son goût pour le confort et l’argent. Gallagher, il l’avait sauvé d’un incendie avant de devenir son garde du corps. Il avait été recruté pour ses qualités. Et, il en allait de même pour Jeffrey, même si la rencontre était probablement bien moins… héroïque. C’était de son plein gré qu’il travaillait pour cet homme. Jeffrey aussi, s’il en décidait ainsi. Ne réalisait-il pas la chance qu’il avait d’être tombé sur quelqu’un d’aussi clément que le PDG de la Neo Corp. ? Un autre aurait tout simplement déposé plainte. Et là, c’était probablement des ennuis d’une autre envergure : on ne s’attaquait pas impunément à quelqu’un qui détenait autant de pouvoir.

« Oula, je ne suis pas un larbin ! Et, je pense que tu as déjà la réponse à cette question idiote. Quant à toi, si j’ai bien compris, il vaut mieux t’avoir sous secret professionnel que te laisser courir dans la nature. C’est une opportunité, pas du chantage. Tu préfères vraiment qu’il relègue le dossier au Peacekeeper ? Parce que, c’est ainsi que cela se passe, d’ordinaire. Et tu as le choix. »

C’était juste que, aux yeux de Joshua, le choix était très vite fait. Il manquait probablement d’une objectivité cruciale dans toute cette affaire. Ceci dit, il ne pensait pas, même à l’heure actuelle, que son patron le laisserait tomber. La confiance s’était établie six ans auparavant et s’était avérée immuable.

Pas du chantage... Pas du chantage... Ces quelques mots résonnèrent dans l'esprit du jeune homme alors qu'il tentait de faire la part des choses. Etais-ce donc une offre d'emploi ? Peu commune, de toute évidence. Et puis, il avait déjà un emploi chez les Peace Keeper. Travailler pour Gallagher devait sans doute présenter quelques avantages. Une paye conséquente, être à l'abris des petits problèmes du quotidien, chasser le mutant à ses heures perdues...

Les documents qu'il était parvenu à décrypter attestaient des malversations suspicieuses de la NeoCorp. Il n'en avait pour ainsi dire pas compris la moitié tant les documents étaient techniques. Mais il y avait put deviner par-ci par-là quelques détails intrigants. Suffisamment pour lui passer l'envie de travailler pour ces gens.

- Non, je n'ai pas le choix. Et vous le savez très bien. Dit-il d'une voix posée mais réprobatrice.

Si ce Gallagher avait effectivement des choses à cacher, qu'il porte plainte serait le moindre mal. À vrai dire, partant du principe que Jeffrey avait été repéré, cette offre d'emploi lui sembla un moindre mal. C'était cela, ou bien finir dans la rubrique faits divers... Ou bien peut-être pourrait-il faire porter le chapeau à Killy. Enfin, en tout état de cause, il n'avait pas le choix.

- Ce n'est pas comme ça qu'on propose un emploi en général. J'ai déjà un boulot, d'ailleurs... Mais je n'ai pas le choix. Dit-il avant de soupirer. Qu'est-ce que je dois faire ?

Il ne pouvait pas lutter contre ces gens, mais la vengeance, peut-être, lui serait accessible. Devrait-il se laisser faire et travailler pour eux ? Sans risques ? Ou bien chercher à les trahir de l'intérieur... Il n'en savait pour le moment rien, car sa priorité était de ne pas y passer dans les minutes à venir.

Tant de mauvaise volonté, si ce n’était pas malheureux. Pourtant, ce n’était pas un vulgaire piège – du moins, c’était ainsi que Joshua le percevait – et le jeune homme ne devrait pas avoir à s’inquiéter autant. Le fait qu’on lui offrît une issue de secours en soi était un acte magnanime. Pourquoi donc s’en méfier autant ? Ne pouvait-il pas concevoir que ses talents seraient plus utiles à la Neo Corp. ? Vraiment, une telle réprobation face à un geste généreux le dépassait. Quel monde étrange…

Au moins, cela avait le mérite de renforcer sa vision si cynique de la société ; tendez la main à un pirate et il vous la mordra. C’était tout à fait le sentiment qu’il avait en cet instant. L’animosité de Jeffrey n’était pas bien difficile à déceler, si bien que Joshua hésita un instant à envoyer le gamin au patron. Et s’il l’attendait avec un couteau à la main ? Non, non, ce genre de risque était aisément déjoué par la sécurité… Un mutant, alors ? Là encore, il allait en avoir le cœur net. Dans l’immédiat, le petit informaticien ne représentait pas un danger. Sur le long terme, par contre, c’était plus inquiétant. D’autant plus que, dans la mesure où Jeffrey travaillait à temps partiel chez les Peacekeeper, des tâches de taille l’attendaient probablement. Enfin, dans le fond, Josh n’en savait trop rien : le patron était loin de tout lui dire.

Joshua se contenta de lever les yeux au ciel. Si seulement il connaissait l’excentricité de Jeffrey Senior, Mini Jeffrey ne serait pas aussi soupçonneux. Il rétorqua donc avec une ironie mordante :

« Je ne sais pas ce que maître Gallagher a en tête, petit agneau, il ne me fait pas part de ses plans diaboliques. »

Avec un soupir las et poursuivit :

« Comme tu t’en doutes, il va te recruter personnellement. Tu as donc un entretien de prévu avec lui la semaine prochaine. On a juste quelques affaires à régler ici, et tu seras libre de partir. »

Mais qui ne s’avise pas de leur faire faux bond pour autant. S’il ne se présentait jamais, il passerait irrévocablement dans la catégorie des individus hautement recherchés. Enfin, Josh n’avait pas besoin d’exprimer cela à haute voix, n’est-ce pas ?

- Personnellement ?

Lui qui avait jusqu'à présent fait mine de ne pas savoir qui était ce Gallagher, fut incapable de retenir sa surprise. Travailler pour l'homme le plus puissant de la ville était une chose. Se retrouver face à lui en était une autre. Et Joshua put lire dans les yeux du jeune homme ce mélange de surprise et de crainte, comme si Jeffrey s'était soudain trouvé face à un géant sans trop en connaître les intentions.

- Enfin... Je... Ne suis pas... Continuait-il en hésitant. Quelque-part flatté, aussi, que Gallagher ai personnellement étudié son cas. Sans quoi, sans doute, il aurait simplement finit en prison. Il aurait put douter, quelque-part, de ce que lui disait l'armoire à glace, mais les documents qu'il lui avait présentés, là encore, attestaient de la véridicité de ses dires.

- C'est très flatteur. Mais j'ai peur qu'il soit déçu. Enfin... Bon.
C'est quoi ces trucs à régler ?

Spoiler:

Joshua avait oublié à quel effet Gallagher avait sur les gens. Il le côtoyait depuis un moment, déjà, et était habitué à sa prestance. Mais pour d’autres, rencontrer le célèbre PDG de la Neo Corporation, cela représentait tout de suite beaucoup plus. Il ne put donc s’empêcher de sourire face à l’étonnement de Jeffrey.

« C’est toi qui va pas être déçu du voyage, plutôt. »

Il espérait seulement que le patron saurait brider un peu sa personnalité excentrique pour une fois ; la nouvelle recrue en devenir semblait être tout particulièrement sensible… Et justement, il s’apprêtait à aborder un sujet plus sensible encore, qui pourrait définitivement braquer son interlocuteur. La question était encore de savoir si, quel que fût son état, son vis-à-vis en avait conscience. Comment le prendrait-il ? Serait-il frappé par une force destructrice ? Non, il l’aurait fait plus tôt pour prendre la poudre d’escampette s’il en avait eu la possibilité. Mais s’il se découvrait une mutation, qu’arriverait-il à Joshua ?

« On va vérifier que tu n’es pas un mutant, si tu le permets. »

Pure formule de politesse pour combler l’étrangeté de la demande ; cette fois-ci, il ne laissait vraiment pas le choix à Jeffrey.

« Je vais te faire une prise de sang, et il sera analysé à la Neo Corp. »

Et après cela, il le laisserait partir. Jeffrey serait contacté dans plusieurs jours par courrier, ou peut-être encore l’un de ces mails du mystérieux Kramo, si Gallagher se sentait d’humeur joueuse. Viendrait alors le véritable test, le véritable entretien que Jeffrey Mcfly devrait passer ; après tout, le patron de Neo Corp. était quelqu’un qui fonctionnait souvent aux coups de cœur. Mais quelque chose disait à Joshua qu’il éprouvait déjà de l’affection pour le jeune homme. Un truc relié à l’informatique, probablement, une espèce de fierté – et de contrariété – sur ces données dérobées, ou encore, une reconnaissance mutuelle entre addicts du clavier. Il devait bien y avoir une explication de ce style, pour que Joshua fût envoyé en ces lieux pour recruter ce petit Marty. Du moins, le garde du corps l’espérait.

Parce que le problème, avec Gallagher, c’était qu’on n’était jamais certain qu’il y eût réellement une raison valable.

Spoiler:

Vérifier s'il était un mutant ? L'idée surpris le jeune homme, mais ne le choqua pas. Ce n'était pas la première chose à lui être venue à l'esprit lorsque l'individu avait parlé de "formalitées". Rien d'anormal, après tout, pour la Néo Corp. Gallagher était probablement l'homme le plus détesté parmi les mutants. Néanmoins, l'idée de la prise de sang ne l'enchantait guère. Encore aurait-il put espérer un sourire et un peu de douceur de la part d'une belle infirmière, mais l'homme qui lui faisait face en semblait bien incapable. Peut-être devrait-il adresser une prière pour éviter qu'il ne lui charcute le bras.

- S'il faut y passer... Dit-il en retroussant une manche, après quoi il tira une chaise pour s'y asseoir. Il n'avait jamais vraiment eu peur des piqures, mais une faiblesse était vite arrivée.

Jeffrey, comme beaucoup d'autres, s'était longuement demandé si la contamination l'avait touché ou non. Il faut dire que l'explosion, il l'avait vue de près. Enfin... Vue... Elle était surtout venue éclater sa fenêtre pour l'envoyer valdinguer en arrière. Dans son entourage, nombreux étaient ceux à ne plus avoir donné de nouvelle. Ses deux meilleurs amis, entre autres, avaient l'un après l'autre désertés leurs chambres sans prévenir.
Mais le temps était passé, leurs chambres avaient été occupées par d'autres, et Jeffrey était resté là, comme si rien n'était arrivé. Il avait même un temps essayé de se découvrir quelque pouvoir exceptionnel, sans succès. S'il avait été atteint, pensait-il, il s'en serait probablement déjà rendu compte. C'était bien le cas des autres mutants après tout. Alors, que risquait-il aujourd'hui ? Rien. Du moins, il en était convaincu.

- Donc en gros, si je ne suis pas un mutant, à moi la vie de luxe, c'est ça ? Dit-il en souriant alors que Joshua préparait le matériel pour effectuer la prise de sang. Et bien, je n'ai plus qu'à croiser les doigts alors.

Joshua s'approcha pour effectuer la prise de sang et, alors qu'il cherchait où piquer, le jeune homme garda son propre regard rivé vers lui.

- Et si je suis un mutant, je devrais faire quoi selon vous ?

La méfiance de Jeffrey était injustifiée.
Enfin.
Un peu.

Joshua avait reçu une formation de secourisme puis médicale un peu plus poussée lorsqu’il était pompier. Les malaises, les blessures et les diverses bases, ça lui connaissait ; il sortit la seringue dernier cri made in Neo Corp. d’une mallette prévue à cet effet et s’approcha sagement de Jeffrey. Non pas qu’il eût souvent planté des aiguilles dans les bras des gens, ce n’était pas tellement sa tasse de thé, mais la vue du sang n’était pas non plus phobique, et le charcutage n’était pas une passion. Même si cela faisait longtemps qu’il n’avait pas exécuté ces gestes, il était le genre d’homme à être suffisamment sûr de lui et posé pour pouvoir exécuter sa tâche sans broncher. Il n’y eût aucun mouvement brusque, aucun tremblement, aucune hésitation. Il s’était certes montré ferme, mais c’était la procédure normale, non ? En tout cas, si le geek avait souffert, c’était seulement parce qu’il était une petite nature. Aisé à dire lorsque l’on se trouvait dans le corps de Joshua, hein ?

L’opération faite, il leva le regard pour le planter dans celui de Jeffrey et il haussa un sourcil sarcastique. Il était inutile de lui cacher à ce stade qu’il était Peacekeeper en plus d’être agent de la Neo Corp. ; il finirait bien par le découvrir de lui-même, de toute façon. Il comptait juste sur le patron pour bien mettre les pendules à l’heure concernant le secret de sa mission.

« Tu poses cette question à un Peacekeeper ? »

Il pencha brièvement la tête sur le côté. Jeffrey découvrirait s’il était mutant ou non de la bouche de Gallagher lui-même. Quel honneur. Si le patron voulait garder cette information pour lui, s’il employait Joshua pour cette mission si spéciale, peut-être espérait-il faire du jeune Marty son arme secrète, son mini-lui, son héritier ? Ciel. Ce serait bien son genre en plus. Il n’osait même pas imaginer la catastrophe qui se profilait ; il manquerait plus qu’il reçût des ordres de ce gamin qui, en prime, ne voulait probablement pas d’une situation pareille… Josh écarta l’idée saugrenue en secouant la tête, et répondit malgré tout :

« Je suppose que, vu dans la situation dans laquelle tu seras, la meilleure solution serait de prouver l’utilité de ta mutation, convaincre ton interlocuteur que tu lui seras plus utile sur le terrain qu’enfermé à Alcatraz. »

Et s’en sortir de la sorte, cela voulait dire bénéficier d’une certaine immunité pour un temps. Gallgher pour le couvrir et le tenir loin des listes des recherchés ! Voilà qui était vraiment une place de choix, même si cela signifiait avoir un collier autour du cou. Mieux valait survivre en courbant un tout petit peu l’échine que de mourir en chien errant, non ? Joshua ne se serait jamais abaissé à cela dans un autre contexte. Mais là, c’était plus vraiment une question de fierté et de principes : on était à San Francisco pendant la quarantaine, point barre.

Josh venait d'avouer son double jeu, mais le jeune homme ne sembla pas surpris. Gallagher était l'homme le plus puissant de la ville. Proche du pouvoir, seul fournisseur du Néo Sérum, il avait non seulement réussit le coup de force de rendre son produit indispensable à la société, mais il avait fait en sorte que la société lui en soit redevable. Il était évident que Gallagher disposait de pions au sains de la police, des officiels comme des officieux. Mais cela importait peu pour Jeffrey. À moins qu'il ne cherche à le faire chanter... Mmhh... Mauvaise idée.

La question avait parue stupide, mais la réponse que Joshua en avait donnée avait prouvée le contraire. Jeffrey ne pensait pas être un mutant, mais ne pouvait complètement ignorer cette possibilité. Il revoyait encore l'explosion, il sentait encore son souffle, puis ce nuage, et suffoquait encore au souvenir de cette atmosphère irrespirable. Comment avait-il put y échapper ? Comme beaucoup d'autre, sans doute, pensait-il. Mais il croisait les doigts.

La piqure avait été moins douloureuse que prévue, et même étonnement indolore étant donné la personne qui l'avait faite, mais le jeune homme ne put tout de même retenir une petite grimace. Il n'aimait pas les piqures. Mais c'était bien le moindre de ses soucis à présent. Que pouvait-il faire pour échapper à Gallagher ? Quitter la ville ? La bonne blague. Il était coincé. Son seul espoir pour éviter une vie de hors la loi était de coopérer.

Une fois un minuscule pansement mis en place, Jeffrey put dérouler sa manche, un sourire crispé aux lèvres. Devait-il être heureux d'en avoir fini ? Il n'en savait trop rien. Il avait une semaine devant lui. Et il y avait Killy... Devrait-il la prévenir ? Au risque de la faire repérer. Jeffrey savait bien qu'une fois dans les griffes de Gallagher, il serait surveillé de très près. Ses talents, s'ils lui étaient si nécessaires, ne seraient sans doute pas laissés à vagabonder à droite à gauche.

- Le terrain ? Quoi qu'il arrive, mutant ou pas, je vais me retrouver enfermé dans un bureau... Devant un ordi. Et il est peu probable que je puisse quitter l'enceinte de l'entreprise. Dit-il, entre le désespoir et les reproches, cherchant quelque-part à faire prendre conscience à ce gorille les conséquences de ses actes. Il n'avait rien demandé... N'avait rien fait... Pensa-t'il. Avant de se remémorer ses fameux dossiers. Oui, en fait, c'était la faute de Killy tout ça ! Il n'aurait jamais dut céder à son chantage à elle. Car il était à présent prit dans un autre chantage d'une ampleur bien supérieur.

- Enfin, c'est toujours mieux qu'Alcatraz. Il y en a qu'on enferme pour moins que ça. Ajouta-t'il en se dirigeant vers la porte, le sac sur son dos, prêt à partir. Il était inquiet... Dépité. Trop jeune pour ça, indubitablement, pensait-il. Mais telle était la San Francisco d'aujourd'hui. Il était temps d'y aller. Sur le pas de la porte, il se tourna vers l'individu.

Une semaine... Ça fait court pour changer de vie.

Joshua haussa les épaules avec désinvolture et rangea soigneusement l’éprouvette contenant le sang de Jeffrey dans le compartiment de la mallette prévu à cet effet. Le petit se faisait un sang d’encre pour pas grand-chose, selon lui, et ce fut donc avec une légèreté proche de l’indifférence qu’il lui répondit :

« On ne sait jamais, avec Gallagher. C’est un sacré personnage. Et par ‘terrain’, j’entendais en-dehors d’Alcatraz. »

Travailler à la Neo Corp., c’était très bien ; il ne comprenait pas ces inquiétudes abusives et cette méfiance paranoïaque. En même temps, le garde du corps trouvait difficilement matière à se plaindre ; il aimait son travail, avait une liberté d’action conséquente et pouvait enquiquiner la frigide Charlotte Hawkins. Mais sa fidélité n’était pas mise en doute, lui. Alors que Jeffrey faisait plutôt partie d’un épineux problème. Il présentait Enfin, il supposait que le patron aurait tout le loisir de l’interroger lors de leur rencontre.

« Je suis certain que tu t’en sortiras très bien. »

Ton paternaliste mais qui ne se défaisait pas de son sérieux. Il était en mission. Pourtant, la perspective de pouvoir asticoter Jeffrey lui paraissait déjà amusante. Oh, Aria serait certainement partante aussi ! Oui. Il considérait déjà le jeune homme comme un collègue sur plusieurs niveaux. Et si Gallagher lui imposait de travailler à la Neo Corp. tout en gardant son travail chez les Peacekeepers ? Cela ferait quelqu’un dans le même bateau que lui ! Sans compter que cela constituerait un avantage non négligeable pour ce qui était du glanage d’information ; Josh avait toujours ce problème avec la technologie qui l’obligeait à travailler à l’ancienne.

Il verrait en temps et en heure. Il se leva et vida d’une traite ce qu’il restait de sa tasse de café, puis s’adressa à Jeffrey avec un sourire :

« C’est bon, tu peux y aller. Merci de ta coopération. »

C’était plus fort que lui, il ne pouvait pas retenir ses traits d’humour qui heurtaient souvent les plus susceptibles. Il comprenait bien que Jeffrey ne voyait en rien cela comme de la véritable coopération… Mais c’était tellement plus drôle de lui faire comprendre ainsi qu’il n’y avait rien à craindre de gens comme lui. Parce qu’il n’y avait pas grand-chose de dangereux chez Joshua, son métier était de prévenir des menaces, pas d’en être une à lui tout seul ! Rien d’offensif chez le Peacekeeper, il avait un caractère bien trop tranquille pour cela. Drôle de paradoxe.