I. Naissance – 18 ans
T’as peut-être une idée de ce que c’est toi, d’être trimballé comme un bagage inutile toute ton enfance ? Ma mère, elle a pas été aussi con que moi ; dès qu’elle a compris que son mari, ce fangeux de Cameron Allen, si fier de faire partie des Navy SEAL, ne raccrocherait pas, lui reviendrait entre quatre planches, elle a mis les voiles. Bien joué de sa part, la salope, elle m’a même laissée dans le sillage.Regan est fille de militaire. Plus spécifiquement d’un Navy SEAL, Cameron Allen, sans cesse envoyé en mission à droite à gauche, trimbalant régulièrement sa famille de base militaire en base militaire sans pour autant passer beaucoup de temps avec eux.
Autant dire que la jeune Regan se sent déracinée, d’une part par l’absence de figure paternelle, d’autre part par l’inconstance de ses relations, n’ayant jamais les mêmes camarades plus de deux ans d’affilée.
Regan était très jeune sa mère quitta le foyer, incapable de supporter le rythme de vie jusque-là imposé. C’était une chose tout à fait compréhensible qu’une femme telle aussi délicate que la vietnamienne Min Ahn ne désirât pas rester les bras croisés chez elle, à attendre le retour de son mari où l’annonce de sa mort lors d’une périlleuse mission… La petite famille ainsi brisée ignorait, le jour de l’éclatement du foyer, que Min Ahn était alors enceinte. Regan a donc une sœur et, aujourd'hui encore, n'en sait rien.
Finalement, la seule constance qui rythma la vie de Regan, ce fut les rencontres erratiques de visages familiers ; la famille Allen avait tout de même de vieux amis, et leur fils, James, qui avait presque le même âge qu'elle, apparaissait lors des repas qui réunissaient les deux familles. La petite peste se faisait un plaisir d'asticoter le garçon, même si cela ne donnait pas de grands résultats. L'indifférence de James agaçait Regan, mais ne la décourageait pas pour autant.
Un jour, son père fut blessé lors d'une mission et dû être stationné plus longtemps que d'ordinaire durant sa convalescence - une situation qui aurait bien conforté Min Ahn dans sa décision si Regan avait gardé contact avec elle. Mais la gamine déjà vindicative et rancunière qu'elle était refusait de voir sa mère.
Là, Regan fit plus ample connaissance avec James. Regan était une adolescente insolente et solitaire. Ils partageaient ce dernier point et, le temps faisant, elle l'arracha à son indifférence, même s'ils ne s'entendaient pas à merveille. Ce bref interlude s'acheva probablement que trop vite, et Cameron Allen fut muté à nouveau. Evidemment, Regan était trop fière pour avoir gardé contact avec James...
La relation entre Regan et son père se fit de plus en plus houleuse. La jeune fille enchaîna les bêtises plus ou moins graves, mit un point d'honneur à mettre son père dans des situations embarrassantes, termina au poste de police des villes alentours à de multiples reprises.
Une énième dispute et des résultats scolaires catastrophiques achevèrent de lui attirer les foudres de son paternel et, la discussion se termina avec des formulaires de recrutements et un aller simple pour les rangs de l'Armée.
II. 18 – 23 ans
Okay, se barrer au premier centre de recrutement, c’était l’ultime insulte au paternel avant de lui claquer définitivement la porte nez. Sauf que l’enflure a a pris ça comme une victoire, il pensait qu’ils allaient me faire courber l’échine, ces chiens ! Mais j’avais d’autres projets, histoire de tenir un peu le nom « Allen » à ma façon…L’Armée eut un point positif : mettre de la distance entre elle et son père.
Néanmoins, si l’institution était supposée la cadrer ou la calmer, il n’en fut rien. Regan avait abordé la formation faussement calme, pour ensuite se complaire à faire des saloperies dans le dos de ses supérieurs. Le tout était de ne pas se faire prendre.
Bien sûr, les trois premiers mois, elle se tint à carreaux. Déjà parce qu’elle conservait toute sa niaque pour la période la plus éprouvante de l’entraînement physique, et ensuite parce qu’il fallait berner tous ces abrutis en uniformes quant à son véritable objectif…
Si Regan pouvait être tout à fait franche, il en ressortirait que certains aspects de la vie de militaire lui plaisait. Parfois, elle excellait même, tellement qu’elle fut envoyée quelques temps à l’école des Rangers, à Fort Benning, en Géorgie, et aurait probablement rejoint le 75ème régiment si elle ne s’était pas montrée si insolente.
Finalement, Regan effleurait du bout des doigts des affectations prestigieuses, car elle en avait les capacités, mais son manque de discipline et son caractère imprévisible la reléguait bien souvent à des postes plus ennuyeux.
L’ivresse coulait dans ses veines en une marée sulfureuse.
« Vas-y, Allen, t’es pas chiche. T’es qu’une nana après tout ! »Ça puait la provocation à plein nez. Regan plissa méchamment les yeux à l’adresse du gaillard, mais une lueur d’amusement éclairait son visage. Elle ne pouvait pas refuser un bon défi.
Ils étaient cinq compagnons de beuveries, cachés dans un recoin peu utilisé de la base, où ronronnait le générateur et murmuraient divers équipements. Les cartes, vestiges d’une partie de poker, étaient éparpillées sur le sol. Elle attrapa la bouteille de scotch, imprégna une fois de plus son palais de la brûlure de l’alcool.
« Oh, ta gueule, Trev. C’est pas en lançant des défis impliquant de gros calibres que tu mettras qui que ce soit dans ton lit. »Les mésaventures dudit Trev étant de notoriété publique, des ricanements enivrés s’élevèrent autour d’eux.
Trev ne se démonta pas pour autant. Cela faisait bien une heure qu’il soutenait que la jeune femme avait des bras trop maigrelets, des épaules trop osseuses, qu’elle ne pourrait pas encaisser le recul de son arme fétiche.
« Quoi tu te défiles ?»« Dans tes rêves. »Un sourire arrogant suinta sur les lèvres de Regan. Elle se leva, saisit le Desert Eagle de Trev. La cible improvisée se balançait au bout d’une corde dans l’obscurité de la salle. Regan était bien trop ivre pour parvenir à quoi que ce fut, mais tira néanmoins, animée par l’audace pompeuse des individus bouffis de suffisance. Somme toute, elle illustrait une fois de plus pourquoi elle n’était pas faite pour l’Armée.
Le coup de feu retentit, assourdissant.
Le ronronnement du générateur se fit agonisant, des étincelles s’éparpillaient dans la semi-obscurité. Les néons grésillèrent.
« Oh merde ! »Regan lâcha l’arme, plaqua ses mains sur sa bouche pour étouffer le rire qui montait dans sa gorge.
Et l’obscurité se fit sur la base.
III. 23 – 25 ans
J’ai tellement bien merdé que j’ai eu le droit à une décharge pour mauvaise conduite illico, juste après être passée par la case prison militaire. Bon, seulement deux mois, dernière grâce obtenue par mon père. Mais enfin, j’étais libre de faire ce que bon me semblait, certainement pas servir mon pays pour un solde minable ! Mettre mes talents au service du plus offrant s’imposa bien vite comme une carrière louable, tant que ça me permettait d’étriller quelques impudents, m’engraisser de sommes rondelettes, vivre ma vie comme je l’entendais. Mon amour pour les billets verts et l’adrénaline trouvèrent enfin un terrain d’entente, quand l’option d’une société militaire privée s’offrit à moi.Regan fut engagée dans une société militaire privée, basée en Grande-Bretagne et nommée comiquement Hadès Inc. Faut pas se fier aux apparences, c’était du sérieux, cette affaire.
Les premières missions vinrent.
Dans un premier temps, Regan douta de sa manœuvre : la rigidité militaire de l’organisation et la nécessité d’obéir aux ordres étaient, somme toute, pas si différente de l’armée ; en plus de cela, il régnait une certaine insécurité dans les rangs, le manque de protocole, l’animosité ambiante entre les membres de l’équipe qui s’arracheraient volontiers le pactole… Se faire une place dans un environnement si hostile, cela demanda de Regan de faire ressortir le monstre qui sommeillait en elle : cruelle et sans pitié, froide et calculatrice, elle noua avec joie avec cette facette d’elle-même, plus sauvage et implacable que jamais.
Tant d’inconnu la rendaient curieusement heureuse. L’adrénaline, le danger, les défis ; tant de facteurs pour faire battre son cœur, pour se sentir vivante ! Elle prenait son pied dans le feu de l’action, s’enorgueillissait de ses exploits, refroidissait les rivaux trop entreprenants, se bâtit une réputation salement, mais efficacement, et surtout eut l’intelligence de ne jamais faire défaut à la société qui l’employait ou aux clients.
Parce que, le mec qui l’employait, il rigolait pas.
William Martius.
Tirez d’abord, poser les questions ensuite. Franchement, ils ne pouvaient que s’entendre à merveilles. Regan fit de son mieux pour gagner sa confiance, faire de lui un mentor, éventuellement, et surtout quelqu’un pour assurer ses arrières. Aussi vindicative et égoïste qu’elle était, elle n’était pas sotte et savait pertinemment s’entourer. À l’armée, elle battait des cils et jurait haut pour trouver des compagnons de sabotages. Dans la SMP, elle préférait se montrer efficace pour être certaine d’avoir du boulot et être protégée. Personne ne survivait seul en ce monde.
Vinrent des retrouvailles inattendues.
Regan n’était pas regardante sur les missions tant qu’on y mettait le prix, surtout quand certaines d’entre elles se révélaient être des vacances à ses yeux. On l’avait envoyé pour un recrutement soigné, quelqu’un qui avait capté l’intention de ses employeurs et qu’ils verraient bien rejoindre les rangs. Le nom sur l’ordre de mission la laissa pensive, le dossier étalant les informations confirma ses doutes. On l’envoyait vers une vieille connaissance. James.
Alors, Regan déploya tout son charme délicieux, ses remarques acerbes couvées par des regards sulfureux, sa volupté ardente, sa force d’esprit, bref. Mais voilà : James n’était pas intéressé. Il avait joué le jeu jusqu’au bout, avait abondé en son sens, pour finalement lâcher, avec une nonchalance goguenarde et sarcastique, que non, il avait un autre employeur, qu’il s’en foutait. À peine un au revoir, et il était partie. Frustrée, prenant l’affront pour un défi personnel, Regan lui réservait bien des surprises pour leurs rencontres suivantes. Parce que, bien sûr qu’ils se croisèrent de temps à autres par la suite ; concurrent sur une même mission, partenaires pour d’autres, le monde était petit, et leurs existences liées.
IV. 25 – 28 ans
J’apprécie m’sieur Martius et tout, les mecs, je vous assure. Mais bon, y a un moment où la monotonie l’emporte sur la sympathie. J’avais besoin d’élargir mes horizons, de sortir de ce putain de trou à rats humide qu’était l’Angleterre, et surtout varier un peu mes taches. Ouaip, Regan, avec tous les contacts qu'elle avait amassés, décida de se mettre à son compte. Il y avait quelque chose de particulièrement chiant (paperasse, logistique) mais aussi de nouvelles optiques. Les opérations se diversifiaient beaucoup plus, elle s'essaya même à diverses formes d'espionnage, rendait des services plus orignaux, liquida plus ou moins proprement quelques impudents qui s'étaient dressés sur le chemin de gens trop puissants.
C'est là qu'on voit toute la laideur humaine. Pas sur le champ de bataille, où réside une certaine forme d'honneur (oui, même chez ces enfoirés de mercenaires, il y a un code, une conduite toute tracée, on anticipe aisément les coups de pute et la logique est là, aussi tortueuse et pernicieuse soit-elle), mais dans les bas fonds des villes, dans les trous à rats, les mafieux et les merdeux qui se tirent dans les pattes, les toxicos qui vendraient leur mère pour leur dose, les nids à crapules et les machinations morbides.
Si ce monde souterrain correspondait beaucoup moins à Regan, elle fit preuve, une fois de plus, d'une capacité d'adaptation farouche. Et elle pouvait ainsi exploiter une autre facette de sa personnalité, cette séductrice fielleuse aux jambes vertigineuses. Et la vipère savait parfaitement manipuler à sa guise...
V. Shutdown
Alors ça, putain, si c'est pas un beau bordel. Des mutants ? C'est un tout autre niveau ! Dans ce genre de situation, autant se ranger du côté qui rapporte le plus, qui paie le mieux. C'est sans aucun doute l'insidieuse Neo Corp... Mais quand même.Regan pénétra dans le bureau de Jeffrey Gallagher avec la démarche souple et paresseuse du félin qui explore un nouveau territoire ; elle observait les lieux, les personnes. Une secrétaire trop raide, un patron trop excentrique et des signes d’une vie onéreuse scintillants çà et là.
« Miss Allen ! Ravi de constater que votre mission a été un franc succès ! »Le PDG au comportement si fantasque l’accueillit en écartant les bras, lunettes de soleil hors de prix toujours sur le nez, même à l’intérieur. Dissimulait-il une gueule de bois monumentale ? En tout cas, il s’exprimait avec l’intonation de l’homme qui portait bien peu de considérations aux vies qui venaient d’être sacrifiées. Tant mieux. Regan n’appréciait guère ces sales hypocrites qui prétendaient regretter leurs actions, qu’elles n’étaient qu’un mal nécessaire, ce genre de conneries à gerber qui lui tapaient magistralement sur le système.
Elle jeta avec nonchalance l’enveloppe de papier kraft sur la table.
« Voici les documents, les clichés demandés, et l’enregistrement des vidéos de surveillances. »La mission avait été expédiée assez rapidement : un otage, une série d’intimidations, une fuite en trombe pour laquelle elle avait contacté quelqu’un du groupe qui l’avait formé. Deux morts, quelques blessés et la cible bel et bien écrasée.
En retour, Regan reçut une autre enveloppe, remplie de billets, qu’elle glissa dans la poche intérieure de sa veste en cuir après l’avoir sommairement compté. Elle allait quitter la pièce quand on l’interrompit :
« Je vous conseille de rester quelques jours en ville, un de vos amis devrait passer. Si vous avez besoin d’un logement, vous serez accueillie ici sans souci. »« Un ami ? »« Monsieur Ari, si je ne m’abuse ? »Le trafiquant d’armes ?
Regan arqua les sourcils pour souligner son intérêt et, sur une moue énigmatique, quitta enfin la Neo Tower. Elle hésita vaguement, avant de consentir à voir Ari ; ce dernier pouvait avoir des articles intéressants et, pour tout dire, elle avait besoin de refaire ses stocks, suite à une mission qui avait un peu dégénéré, où elle avait été obligée de laisser une partie de ses affaires derrière elle.
Elle regretta amèrement cette décision car, quelques jours plus tard, la catastrophe survenait à San Francisco, et l’étouffante quarantaine démarrait.
Heureusement, on lui proposa assez vite du travail, quand bien même ses prix étaient exorbitants. Les agents de terrains pour la Neo Corp. étaient souvent des scientifiques, pas nécessairement compétents face à des forces hostiles et Regan s’efforçait d’assurer leur protection et de coffrer des mutants. Elle portait ainsi son aide tant aux Peacekeepers qu’à la célèbre entreprise, et ça s’avérait être d’un barbant ! Enfin, pas la partie où elle expédiait des mutants à Alcatraz, mais le reste… Elle n’était pas définitivement pas faite pour la vie de sédentaire…
Ce serait mentir que de dire que je ne prends pas mon pieds, parfois. On est dans une zone de guerre imprévisible et excitante, où l'adversaire peut se mettre à vous lancer des boules de feu à la tronche, que ça ne serait pas surprenant. Ici, on frôle la mort à chaque instant, on vit constamment shooté à l'adrénaline. Mais parfois, je n'en peux plus, je tourne en rond comme un putain de fauve en cage, le gibier a la saveur bileuse du déjà vu, le paysage délabré reste le même.