D’ici, elle parait d’avantage menue que lorsqu’elle se tient devant lui. Fragile, délicate. Elle est apparue dans sa vie comme un ange. Il se souvient encore de la première qu’il l’a aperçue dans l’une des nombreuses rue piétonnes qui jonchent l’université de Stanford. Ses cheveux paraissant flotter derrière elle, son teint mat illuminé par les rayons du soleil californien, son rire léger et cristallin. Jamais il n’aurait imaginé à cet instant qu’elle puisse un jour partager sa vie. Et voilà qu’elle vient de la quitter de la même façon. Semblant voler de ses propres ailes. Penché par la fenêtre, il ne peut pas même voir le sang qui doit certainement s’écouler de son crâne. Rapidement, il ne peut de toute manière plus l’apercevoir les passants entourant le corps disloqué de son épouse. Il se laisse tomber au sol et rit.
 
Comme presque tous les matins, Warren se réveille avec l’image de sa femme dans la tête. Il devrait se sentir anéanti, détruit, mais il n’en ait rien. Pour être d’une parfaite honnêteté, il est complètement indifférent à son décès. Presque soulagé. Pour comprendre cela il faut revenir sur son enfance. Fils unique d’une famille plutôt aisée vivant dans la bourgade de Woodside, il a été élevé de manière plus que traditionnel, républicaine, conservatrice devrions-nous même dire. Sans surprise, il a commencé à fréquenter le secteur privé dès son entrée en école primaire. Son père chef ingénieur informaticien avait d’ores et déjà de grands projets pour lui et espérait bien qu’il suivrait le chemin qu’il lui avait tracé. Quelques cours particuliers, des dimanches au musée, des soirées à regarder des documentaires ancrèrent en lui l’envie d’approfondir toujours plus ses connaissances, le rendirent peu sociable. Sur la défensive. Aussi, au début de son collège, une nouvelle facette de sa personnalité s’est réveillée. Une petite insulte le fit partir au quart de tour et frapper l’un de ses camarades à sang. Incident qui ne s’est plus reproduire grâce aux mains appliquées de son paternel. Concentré sur ses études, entendant à longueur de journée à quel point il était brillant réussir à faire de Warren le snob arrogant dénigré par tous lors de son lycée. Il fallait néanmoins lui concéder qu’il était devenu comme une encyclopédie vivante, très éclairé et avant-gardiste. C’est donc sans grandes difficultés qu’il a porté son dévolu sur l’université de Stanford afin de poursuivre une majeure en biologie et y a été accueillie les bras ouverts. C’est à cet instant que sa vie a basculé. Si vous vous souvenez bien, c’est à cet instant-ci qu’il a vu pour la première fois Ana-Lucia qui va plus tard devenir Mme Davidson. Jusqu’à son décès du moins.
Bien qu’il en fût le premier surpris, elle lui adressa la parole alors qu’il étudiait calmement dans la bibliothèque. Quand bien même Warren n’avait pour ainsi dire aucun ami, il était reconnu sur le campus pour être l’un des élèves les plus brillants de sa promotion. Autant dire que lorsqu’elle lui a demandé de lui donner quelques cours privés, il s’est empressé d’accepter. Au fil des semaines, il s’est détendu, a même commencé à plaisanter, découvrant qu’il avait un sens de l’humour. Il arriva ce qui arrive couramment dans ce genre de situation, au bout de trois années ils décidèrent tous deux de partager une relation sérieuse. Vint ce moment délicat où il dut la présenter à sa famille. Si ses futurs beaux-parents étaient ravis de faire sa connaissance, la réciproque ne fut pas vraie. Warren savait que l’ethnicité de sa partenaire en était la cause et pour la première fois, il s’opposa à ses géniteurs défendant ses opinions. Acceptant de vivre par lui-même, de payer les prix exorbitant exigés par son école il coupa les ponts avec ceux qui considéraient qu’il était en train de gâcher sa vie. Ce qu’ils ne comprenaient pas, c’est qu’Ana-Lucia, bien au contraire lui avait ouvert les yeux et le rendait meilleur. Plus avenant, plus amical, plus docile. Il se trouva un emploi, devint endetté pour conclure son master, enchaîna les stages jonglant efficacement avec sa vie sociale. Une fois diplômé il trouva facilement un travail comme microbiologiste technicien assistant dans une des plus grandes firmes de la Bay Area poussé par les recommandations de ses professeurs et anciens employés.  Poursuivant toute logique, il s’installa avec sa petite-amie, se fiança et se maria.
 
Comme vous pouvez le constater, Warren a eu une enfance, une adolescence et une vie de jeune adulte plutôt communs. Néanmoins, il luttait sans arrêt entre les divers aspects de sa personnalité, celle qui lui avait été inculquée de par son éducation et celle qu’il souhaitait être, celle qui le rendait heureux. Durant ses six premières années de mariage, il n’eut aucune difficulté à laisser les valeurs qui lui avaient été enseignées dès son plus jeune âge de côté. Il vivait une vie heureuse, une superbe épouse qui le surprenait toujours, un travail des plus intéressant maintenant qu’il avait gravi des échelons et un cercle de connaissances varié. Mais cela n’était pas destiné à durer. Vous avez certainement deviné qu’il jongle désormais ces deux moitiés. Ce qui a tout chamboulé n’est autre que cette fameuse explosion. Warren n’en a que peu de souvenirs, il se souvient d’avoir quitté son travail malgré l’ordre de confinement afin de retrouver son épouse et s’assurer qu’elle allait bien. Possédant sensiblement le même travail, ils avaient cependant décidé de ne pas travailler ensemble et elle se trouvait plus proche qu’il ne l’était de l’incident. Sans broncher, ils acceptèrent la mise en quarantaine et durent faire face à leur première réelle dispute lorsqu’ils apprirent l’existence des mutants. Si Ana-Lucia semblait accepter la situation, Warren ne pouvait cacher le dégout que lui inspiraient ces bêtes. Selon sa femme, il agissait là de la même manière que son paternel, faisait preuve qu’un manque d’ouverture non-considérable et la décevait énormément.  Il se tut donc, ne souhaitant pas mettre son mariage à mal, n’en pensant pas moins. D’où venaient-ils, que s’était-il passé, il n’en avait que faire. Il avait une seule et simple connaissance, le fait de les voir respirer était comme une insulte à son égard. Il savait, devinait qu’ils se croiraient supérieurs, meilleurs. Ils allaient devenir des monstres, si ce n’était déjà fait. Etrangement, au fil des jours, Ana commença à partager son opinion, s’y opposer. Maintenant au chômage il s’imagina qu’il devait s’agir de son travail à la Néo Corporation qui devait lui causer du stress. Du moins c’est ce qu’il souhaitait s’imaginer. Il savait, au fond de lui il savait mais tentait de ne pas se l’avouer. Il dut cependant affronter la réalité lorsqu’elle revint affolée de son travail, lui avouant qu’elle craignait d’être l’un d’entre eux, de se retrouver à Azkaban avec les autres mutants. Elle qui était quelqu’un de plutôt butée et terre à terre se retrouvait contre toute attente lunatique et indécise. Elle lui implorait de l’aide, mais il ne put s’empêcher de s’écarter alors qu’elle tendait sa main. Il la voyait maintenant sous son vrai jour et il haïssait cela. Jamais plus il ne pourrait aimer cette personne. Cette chose qui prétendait encore être sa femme. Trois jours plus tard son problème était réglé, et il était déchargé d’un poids. Soulagé qu’Ana-Lucia ait sauté par cette fenêtre dégoutée d’elle-même. C’est ce qu’il aurait fait à sa place.
 
Aujourd’hui encore, près de quatre mois plus tard, il ne ressent aucune pitié à son égard, et se réjouit de ne plus avoir à affronter son regard. Bien entendu, il ne l’avoue pas. Il joue au défunt déploré afin d’attirer la sympathie de ses nouveaux collègues. Prétextant de ne pouvoir rester veuf et seul dans son appartement, il a sauté sur l’occasion afin de prendre la place de son épouse dans l’équipe génie-génétique de la Néo Corporation. Il a un malin et sadique plaisir à visiter ces bêtes confinées dans leurs enclos et à leur injecter leurs nouvelles trouvailles. Les voir souffrir à l’occasion. Elles ne valent rien de plus à ses yeux. De vulgaires cobayes à large échelle voilà ce qu’ils sont.