~Metro~
Si vous demandez à Aaron son histoire, il vous tiendra à peu près ce discours. Ses parents étaient de riches industriels qui moururent dans un accident de voiture, lorsqu’il avait un an. On le confia à son oncle et sa tante qui le traitèrent comme un raté, l’obligeant à faire toutes les corvées et le faisant dormir dans un cagibi situé sous un escalier. Mais à son onzième anniversaire, un homme vint leur rendre visite, lui apprenant que la mort de ses parents n’étaient pas accidentelle mais qu’il s’agissait en réalité d’un assassinat. Meurtris par cette nouvelle, il décida de se venger et commença un entrainement intensif dans tous les domaines, physiques et intellectuels. Devenant ainsi un justicier de l’ombre combattant les criminels qui gangrenaient sa cité. Quand sa mission fut achevé, il délaissa son costume de héros du peuple pour rentrer dans l’armée afin d’aider le maximum de personnes.
Croyez-le ou non, mais cette version n’est qu’un tissu de mensonge inventé par Aaron. Elle est même assez éloignée de la réalité. Pourquoi mentir ? Peut-être car sa vie n’était pas assez spectaculaire ou bien qu’il n’a simplement aucune envie de se souvenir. Enfin si vous êtes vraiment intéressé par son passé le voici.
~1~
Les premières années de la vie d’Aaron ne sont pas les plus intéressantes. Il est né dans une bourgade du Mississippi. Fils d’agriculteur, il était le cadet d’une famille de cinq garçons. Bien que ne roulant pas sur l’or, lui et ses frères ne manquèrent de rien, que ce soit sur le plan physique ou affectif. Pour résumé, ils formaient une belle petite famille heureuse comme de milliers d’autres.
Ses parents prirent vite conscience que leur petit dernier n’était pas vraiment comme les autres. Contrairement à ses frères qui aimaient tant jouer dans les prés, il se contentait de rester assis dans son coin comme si tout cela l’ennuyait. A vrai dire, se courir les uns après les autres, ne l’intéressait pas particulièrement. Le plus souvent, il regardait une fourmilière, observant le flux continuel de fourmis aller et venir. Ces petites bêtes l’intriguaient grandement, c’était des êtres vivants tout comme lui et sa famille, certes en plus minuscules, et pourtant il était si facile de les tuer. Les voir fuir après qu’il en ait écrasé une, l’amusait au plus haut point. Si sa mère semblait horrifier en voyant le moyen de divertissement de son fils. Au contraire, son père ne semblait pas s’inquiéter plus que ça. Il savait que les enfants, de par leurs innocences, pouvaient se comporter comme des créatures cruelles dépourvues de tous remords.
Le premier gros incident, qui leurs mit la puce à l’oreille, se passa vers ses six ans durant sa première année au primaire. Son institutrice leurs avait déjà fait remarquer qu’Aaron ne l’écoutait pas et embêtait ses camarades. Rien de vraiment spéciale, leurs fils était juste la brute de l’école et ils pouvaient gérer ça. Mais quand, en cours d’arts, il commença à dessiner des cadavres ce fut la panique. Ils furent convoqués chez le principal, on leurs conseilla d’aller voir un psychologue, mais son père refusa catégoriquement. Une fois rentrée chez eux, sa mère s’écroula en sanglot pendant que son père lui expliquait que ce qu’il avait fait n’était pas bien, qu’on risquait de l’emmener dans un hôpital spécial. Il n’aimait pas voir sa mère pleurer et il ne voulait pas partir. Depuis ce jour, dès qu’il devait faire un dessin, il faisait un arc-en-ciel, on ne les convoquait pas pour des arc-en-ciel.
Il n’eut pas d’autres problèmes pendant presque cinq ans. Quoiqu’il avait gagné la réputation d’enfant difficile à force de se bagarrer avec les autres garçons du village. Si sa mère semblait avoir oublié l’évènement passé, celui-ci hantait l’esprit de son père. Son fils n’était pas méchant, il avait juste cette… maladie. Pour l’instant, il arrivait à le contenir, mais ce n’était qu’une solution temporaire et il le savait. Un jour arrivera, où il ne pourra plus retenir ses pulsions et ce jours-là, il commettra l’irréparable. Comment l’aider à se décharger de cette violence ? Il n’en dormait plus, cherchant en vain une solution. C’est lors d’une de ces nuits d’insomnie qu’il la trouva, accroché au mur du salon, un fusil de chasse. Si Aaron devait exprimer toute sa violence mieux valait que ça soit sur des animaux. C’était décidé, dès demain, il l’emmènerait chasser.
Pour ses seize ans, ces frères lui offrirent un superbe couteau à dépecer. Depuis quelques temps tous ses cadeaux d’anniversaire se rapportaient à la chasse, à quatorze ans, il avait reçu son permis de port d’arme, l’année suivante, ce fut un fusil. Si sa famille semblait heureuse de voir Aaron enfin s’investir pleinement dans une activité, son père s’en inquiétait de plus en plus. Ils avaient commencé par de petits rongeurs ce qui eut le mérite de le calmer un certain temps. Mais son intérêt pour la chose n’avait fait que grandir, l’obligeant à traquer des proies de plus en plus grosses afin de satisfaire l’appétit croissant de son enfant. L’avoir initié à cela avait été une terrible erreur. Une fois qu’il a goûté au sang, un loup ne peut plus redevenir un simple chien.
~2~
La pièce était plongée dans l’obscurité, seul un mince filet de lumière arrivait à percer à travers le rideau mité qui faisait office de rempart entre l’astre flamboyant et son lit douillet. Aaron entrouvrit lentement les yeux, il arrivait à peine à distinguer la silhouette des meubles de sa chambre. Dès qu’il fut habitué à la pénombre, il se traina dans la cuisine à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent. Son choix se posa sur un vieux paquet de chips oublié au fond d’un placard quasiment vide. Depuis combien de jours n’était-il pas sortit ? Un mois, peut-être deux, voire plus. Il avait perdu toute notion du temps depuis un moment. Une fois le sachet terminé, il le jeta dans un coin puis retourna sous la couette. Son quotidien se résumait à ça, manger et dormir comme s’il n’avait plus gout à la vie. Comment en était-il arrivé là ?
Il était parti du domicile familiale pour aller étudier sur la côte Est. Partir était un bien grand mot, son père lui avait un peu forcé la main dès qu’il avait atteint la majorité. Il ne lui en voulait pas, son fils s’était transformé en bombe à retardement, il était normal qu’on l’éloigne afin de protéger le reste de sa famille. Il lui fallut moins d’un mois pour être viré de son université pour coup et blessures sur d’autres étudiants. Sanction qui l’arrangea plus qu’autre chose, de toute façon il n’avait jamais aimé étudier et plus rien ne pouvait l’entraver. Il avait déjà tout prévu, il irait en Alaska afin de s’isoler le plus possible de la civilisation, vivant de la chasse et de la cueillette et finirait sa vie sur la banquette du bus abandonné qui lui aura servi de refuge.
Enfin tout cela n’était qu’utopie pour une personne comme Aaron et il s’en rendit vite compte. Il l’avait traqué sur des kilomètres pendant une bonne dizaine d’heures. La bête était à ses pieds haletant, il lui avait perforé un poumon ce n’était qu’une question de temps. Il dégaina doucement son couteau qu’il plaça au niveau du cœur de l’animal. Il l’enfonça doucement sous la peau, se concentrant sur le rythme cardiaque de sa proie, un ultime battement puis le silence. Il l’avait tué alors pourquoi sa main tremblait encore ? Il réalisa que trop bien ce que cela signifiait. Les animaux ne lui suffisaient plus, il lui fallait autre chose. La réalité le terrifia, il voulait faire de mal à personne, mais ses pulsions le pousseraient inéluctablement à commettre l’irréparable. C’est ainsi qu’il commença sa vie d’enfermement, tel un ermite voulant éviter les gens afin de ne pas être tenté.
Au final, l’isolement n’avait rien arrangé bien au contraire sa frustration n’avait fait qu’empirer. Et un soir, ce qui devait arriver, arriva. Il était descendu dans la rue à la recherche de sa première victime. Son regard scrutait la foule, pour commencer, il lui fallait une cible isolée qui ne serait pas trop dur à maitriser. Il jeta son dévolu sur une jeune femme qu’il fila prudemment en attendant le moment propice. Elle bifurqua dans une ruelle, Aaron posa la main sur le manche de sa lame, son cœur battait la chamade tellement il était excité. Il tourna à son tour, dans le passage, mais plus rien. Il ne l’avait quand même pas perdu ? Non, impossible qu’elle est été aussi rapide… Il regarda autour de lui à la recherche d’un bâtiment susceptible d’abriter sa proie. Le seul endroit plausible était un vieux cinéma, il se décida donc à entrer.
Elle était là, assise dans la salle de projection. Il s’installa deux rangées derrière elle, essayant de se calmer, il devait juste patienter jusqu’à la fin du film. Il jeta un coup d’œil sur le billet qu’il avait acheté, il était écrit « fight club ». Il réalisa qu’il n’avait jamais vu de film auparavant, certes il avait déjà regardé la télé avec sa famille, mais ils ne visionnaient que ces téléréalités stupides. Lorsque les lumières s’éteignirent, Aaron vécu les deux heures et quinze minutes, les plus intenses de sa vie. Le film était fini depuis une dizaine de minutes, la fille devait déjà être loin et pourtant il était encore enfoncé dans son fauteuil à contempler l’écran vide. Ses pulsions avaient complètement disparu au profit d’une envie de rattraper son retard cinématographique.
Pendant presque deux ans, il avait écumé les vidéo clubs et les cinémas afin d’améliorer sa culture sur le septième art. Il avait vu de tout, passant des navets au chefs-d’œuvre, s’extasiant sur le charisme de certains protagonistes et apprenant par cœur certaines répliques cultes. Bien qu’il adorait sa nouvelle passion, il sentait qu’elle perdait de son effet tranquillisant. Encore une fois, son instinct venait reprendre le dessus. Cependant, il avait appris une chose après avoir visionné tant de film, s’il existait un endroit qui pouvait répondre à ses attentes, c’était l’armée. Tel un loup apprivoisé afin de devenir un chien de chasse.
~3~
Sa famille avait dû faire une de ses têtes quand ils apprirent qu’il s’était engagé. Il fallait avouer qu’Aaron n’avait pas le profil du bon soldat, il n’était pas du genre à se soumettre à l’autorité et avait la fâcheuse habitude de se battre avec ceux dont la tête ne lui revenait pas. Le camp d’entrainement avait mis à rude épreuve sa patience, tout d’abord son instructeur était un gros con qui semblait pouvoir ouvrir la bouche seulement pour gueuler des ordres. Et ses coéquipiers étaient des incapables, des imbéciles et des pleurnichards enfin tout ce qu’il méprisait le plus. Si cela ne tenait qu’à lui, il aurait déjà plié bagage, mais en ayant vu « Full Metal Jacket », il savait que cette étape était nécessaire pour atteindre le champ de bataille.
Après une année de calvaire, on l’envoya directement sur le terrain. Leur mission était simple, il devait neutraliser un groupuscule de rebelle, il allait enfin avoir de l’action. Mais ce fut une désillusion, ils ne faisaient que patrouiller à la recherche de la base des rebelles. Heureusement, il y avait eu quelques affrontements qui l’amusèrent au plus haut point, pour dire il avait même tué son premier homme. Cela faisait des mois qu’ils quadrillaient la zone afin de trouver leur repère et il commençait à en avoir marre. Alors, lorsque son équipe captura un prisonnier, il décida de l’interroger personnellement avant de le ramener au campement. Bien sûr, il ne lui répondit pas, ce qui embêta un poil Aaron, car il n’avait pas prévu de stagner ici des années, il fallait utiliser une méthode plus radicale. Il n’avait jamais torturé quelqu’un auparavant, cependant une phrase trottait dans sa tête :« Tu lui coupe un doigt et tu dis qu’après tu coupes le reste, si il porte des petites culottes en dentelle, il te l’avouera ». Au bout du troisième, il déballa tout ce qu’il savait.
Et le voilà convoqué par les généraux, c’était surement à propos de ce qu’il avait fait au prisonnier pourtant ça leur avait permis d’en finir avec cette rébellion. Bon, il avait dû transgresser une bonne dizaine de loi, il serait normal qu’on le radie. Mais c’est le contraire qui se passa, on le félicita pour ses résultats et on le fit monter en grade. L’affaire allait être enterrée. Il tira une conclusion de cette histoire, ce sont les gagnants qui définissent les crimes de guerres. Leurs objectifs atteints, ils furent rapatrié chez eux, en attente d’un nouvel ordre de mission. Aaron, trouvant le quotidien de soldat pas assez excitant, demanda son transfert dans les forces spéciales. C’est ainsi qu’il rejoint l’équipe du lieutenant Drake Carter avec lequel il accomplira pas mal de missions.
Cette fois-ci, on les envoyait pour gérer une explosion en plein milieu de San Francisco et leurs supérieurs croyaient à une menace terroriste. Il observait, du haut de l’hélicoptère, le pylône de fumée orange qui s’élevait dans le ciel. Il avait vu assez de film pour savoir que dans ce genre de situation, il y avait toujours un truc qui merdait.
~ Attaque ~
Aaron courait comme un dératé dans les ruines d’un ancien immeuble situé près de l’explosion. Il avait aperçu sa proie pendant une patrouille nocturne et s’était approché discrètement de sa cible. Il aurait pu lui tirer dans le dos, qu’il soit mort avant même d’avoir réalisé sa présence, mais ça n’aurait pas été amusant. Il préféra se dévoiler au jeune homme qui, dès qu’il le vit, pris ses jambes à son cou. Maintenant, il le pourchassait et c’est qu’il était rapide le bougre, enfin ça rendait la chasse que plus intéressant. Il entendit un bruit sourd suivi d’un hurlement ce qui le poussa à ralentir la cadence. Il dégaina son arme, il était toujours possible que ce soit un piège. A sa grande déception, il s’arrêta au niveau d’un énorme gouffre où reposait au fond sa victime en pleure. Il souffla dépité, c’était pas drôle quand il se faisait mal tout seul. Il descendit prudemment pour le rejoindre, c’était qu’un gamin, il devait pas avoir plus de dix-huit ans et il le suppliait de l’épargner, promettant qu’il était sain, qu’il n’avait pas de mutation. Qu’est-ce qu’il en avait marre de ces pleurnichards… Il pointa son arme sur lui.
« Ecoute, j’en ai rien à foutre de tes arguments. Que tu sois un mutant ou pas, n’a en fait aucune importance puisque je vais tout de même te tuer. C’est pas contre toi petit, mais j’ai un problème, j’en ai besoin. Pourtant, crois-moi, je suis pas un garçon méchant... j’ai seulement le côté obscur un peu plus prononcé. »Un coup de feu retenti dans la nuit.