HABITUEE DU MARDI  ϟ  FEAT ANGE COOPER

C

’était un petit matin d’hiver, un petit matin froid et embrumé à San Fransisco. L’hiver entamait gentiment sa fin mais les températures n’excédaient que rarement les 10°. L’hiver, c’est froid, c’est triste, et quand il neige, c’est encore pire. Enfin, vous me direz, depuis les récents accidents, peut importe la saison, les gens sont tristes. En travaillant en ayant un contact avec le public, on peut vite constater que le moral des habitants ne va pas en s’améliorant. Certes, il y a toujours les personnes souriantes et pleine de vie qui paraissent inchangées, mais on sait tous que derrière leur sourire se trouve de la peur, de la haine, de la tristesse. Certains ont perdu des proches, d’autres leurs maisons, leur travail, ou peut-être les trois à la fois. Comment vivre heureux dans une ville où l’on risque de se faire attaquer à chaque coin de rue ? Comment vivre heureux alors qu’on a tout perdu ? Et le pire: c’est impossible de fuir cette ville, à cause de la quarantaine. Nous sommes condamnés à vivre du mieux qu’on peut, que l’on soit heureux ou non, en espérant que les choses s’arrangent, un jour peut-être.

C’est en pensant à tout ça que je me suis assise au bar aujourd’hui en ce mardi brumeux. La bibliothèque n’ouvrait que l’après-midi, j’avais donc le temps de me reposer un petit peu. Oui, pour moi le repos, ce n’est pas forcément de rester au lit et de dormir toute la journée. Je n’aime pas la solitude, je n’aime pas le silence pesant de mon appartement. C’est pour cela que je préfère venir dans un bar, c’est une habitude du mardi. Je prends toujours la même place, sur une banquette tout au fond de la buvette à côté de la fenêtre. Je me pose dans mon coin, sors un livre de mon sac, commande un chocolat viennois et me voilà partie pour rester là pendant des heures, voire jusqu’à la fermeture les jours où je ne travaille pas. Certes je pourrais faire exactement la même chose chez moi dans mon appartement. Mais ici, il y a de la vie, du passage, des bribes de discussion à surprendre de-ci de-là, observer les gens qui passent dans la rue à travers la fenêtre. Tranquille et à la fois entourée par des centaines d’inconnus que je ne recroiserai peut-être jamais.

Note: